La pluie s'écoule goutte à goutte dans le sol jaunâtre et craquelé, un apport bienvenu pour la vigne plantée sur les côteaux roussis des South Downs, une région à l'extrême-sud de l'Angleterre qui abrite une industrie de vins mousseux.
"Ne pensez pas cette terre comme humide. Pensez-la sèche et chaude", dit Michael Roberts, l'un des meilleurs viticulteurs anglais, qui a fait taire la faible réputation vinicole de son pays avec des vins blancs souvent primés.
Il impute ce succès au "microclimat chaud" qui enveloppe les Downs, un alignement crayeux achevé par les falaises plongeant sur la Manche. La région s'est réchauffée, suivant en cela les tendances planétaires.
Les collines élevées au sud de son domaine de RidgeView, dans le Sussex, au-delà desquelles s'étend la station balnéaire de Brighton, préservent un climat assez doux en hiver, et chaud et sec en été.
Le sol mixte en craie et calcaire, propre au sud de l'Angleterre et à la région champenoise en France, est aussi un atout, car il retient et distribue équitablement l'humidité.
Les deux régions, qui ne sont qu'à quelques centaines de kilomètres de distance, étaient dans une lointaine ère géologique baignées dans une mer primitive qui leur a laissé les mêmes dépôts sédimentaires.
L'Angleterre compte aujourd'hui 325 vignobles et le Pays de Galles 25, qui produisent deux millions de bouteilles par an, la part des vins mousseux (ou effervescents) étant de 15%, selon le service des producteurs anglais, English Wine Producers.
La directrice des ventes, Julia Trustam Eve prédit que les vignobles anglais produiront 3.5 millions de bouteilles de vin mousseux en 2015. "Les vins mousseux vont prendre le dessus", assure-t-elle.
Le domaine vinicole Denbies, le plus grand d'Angleterre et l'un des plus vastes d'Europe, s'étend sur près de 110 hectares dans le comté du Surrey (sud-est), où la récolte du vin remonte, dit-on, à l'époque romaine.
Denbies produit actuellement 400.000 bouteilles de blanc, rouge, rosé et mousseux par an, mais compte accroître ce volume en étendant encore sa propriété.
"Sans aucun doute, le changement climatique a contribué à la croissance que nous avons expérimentée au Royaume-Uni", explique Christopher White, directeur général de Denbies.
Sur son domaine, les premiers bourgeons ont éclos cette année le 14 avril, deux semaines plus tôt que la date habituelle.
M. Roberts assure que ces conditions permettent de produire des vins mousseux capables de rivaliser avec le Champagne, et surpassant ceux de Californie, d'Afrique du Sud et d'Australie.
Dans ces trois pays, les grappes doivent être cueillies plus tôt - le climat chaud les faisant mûrir plus rapidement - ce qui donne un produit final plus terne et moins fruité.
"Nous ne sommes pas en compétition avec les vins du nouveau monde", affirme-t-il.
Depuis qu'il a planté ses premières vignes en 1994, les journées où le thermomètre a dépassé les 30 degrés n'ont pas manqué. Un phénomène quasiment inconnu lors des trois décennies précédentes.
La période de maturation des raisins est à présent "plus proche que jamais de la saison traditionnelle française".
Effervescents du Monde, un groupe français chargé de la promotion des vins mousseux, remarque que les vendanges en France ont aussi lieu plus tôt que par le passé.
"Le sud de l'Angleterre devient une région viticole dont la qualité des vendanges s'améliore régulièrement parce qu'elles sont plus précoces", explique à l'AFP Henri-Laurent Arnould, président du groupe.
M. Roberts a adopté trois cépages français classiques: le Chardonnay "pour son caractère et sa finesse", le Pinot Noir "pour son corps et son intensité", et le Pinot Meunier "pour la richesse du fruit".
Sur son petit terrain de 12 hectares, il produit environ 50.000 bouteilles de blanc mousseux et pense porter ce chiffre à 120.000 dès 2010. Il espère qu'ensuite ses trois fils seront prêts à assurer la relève.