Licenciements boursier . Unilever réalise des bénéfices faramineux. Le PDG félicite ses 180 000 salariés et annonce 20 000 suppressions d’emplois, surtout en Europe.
Unilever va très, très bien, merci, mieux ça serait scandaleux. Jeudi dernier, la multinationale de l’agroalimentaire et de l’hygiène (savons, cosmétiques, lessives, détergents) a communiqué ses résultats financiers du deuxième trimestre 2007 à Rotterdam (Pays-Bas) : bénéfice net de 1,2 milliard d’euros sur trois mois, en augmentation de 16 %. Ces profits faramineux confirment une cuvée déjà insolente en 2006 : bénéfice net de 5,4 milliards d’euros, en hausse de 26 %, et chiffre d’affaires de 39,6 milliards d’euros (+ 3 %). À chaque fois, ces performances dépassent les attentes des analystes qui, pour 2006, tablaient par exemple sur un bénéfice net compris entre 4,25 et 4,5 milliards d’euros pour Unilever. Du coup, dans la matinée de jeudi, Patrick Cescau, le patron français, mais avec une pointe d’accent british, à la tête du conglomérat anglo-néerlandais depuis 2005, a pris la peine d’adresser aux salariés du groupe pourvus d’une adresse e-mail ses plus vives et chaleureuses « félicitations ».
Dans la foulée, en marge de la présentation des comptes, le même Patrick Cescau a, quelques instants plus tard, dévoilé ses projets d’avenir à la presse : concentration accrue sur certaines marques et poursuite de la cession des moins rentables, et surtout, d’ici à 2010, suppression de 20 000 emplois (sur un total de 179 000 dans le monde) par le biais de la fermeture et de la « rationalisation substantielle » de 50 à 60 usines de production (sur 300 dans le monde). La Bourse d’Amsterdam a immédiatement salué le geste : en séance, le cours de l’action Unilever a augmenté de 4 %.
« Il est trop tôt pour dire quelles sont les régions du monde et les emplois concernés », prévient Gerbert van Genderen Stort, porte-parole de la multinationale. Mais les tendances lourdes parlent d’elles-mêmes : depuis 2000, le numéro trois mondial des produits dits de grande consommation est engagé dans une vaste restructuration permanente qui frappe en particulier l’Europe de l’Ouest. « En sept ans, nous avons fermé ou vendu plus de cent usines », se vante devant les journalistes financiers Patrick Cescau. En 2000, Unilever comptait 295 000 salariés sur la planète ; en 2007, avant les nouvelles « coupes » annoncées la semaine dernière, ils ne sont déjà plus que 180 000. Et, en Europe, le nombre d’employés de la multinationale est passé de 80 000 en 2000 à 44 000 en 2007. « La majorité des restructurations concernent l’Europe », avoue sans fard le PDG du groupe, avant de minauder dans un entretien au Figaro de vendredi : « Nous avons une idée très précise de ce programme mais il n’est pas complètement abouti. Nous voulons d’abord en discuter avec nos partenaires sociaux. »
Un plan social chasse l’autre
Alors que Patrick Cescau vient, en mai dernier, de recruter, pour le poste de président d’Unilever, le Suédois Michael Treschow, surnommé « Mac the Knife » (Monsieur Couteau) chez Ericsson et Electrolux pour sa propension à tailler dans la masse salariale et à organiser les délocalisations, le « dégraissage » promet d’être violent. L’objectif pour les dirigeants d’Unilever, c’est de « réduire de 1,5 milliard d’euros par an les coûts engendrés par le personnel jusqu’en 2010 », afin qu’à terme, la marge opérationnelle - la « profitabilité » chère aux investisseurs - tourne autour des 15 %.
Au siège national d’Unilever France, à Rueil-Malmaison, le service de communication estime que « le groupe a déjà fait un gros travail en France », mais qu’« il n’est pas terminé ». La comptabilité et les services informatiques ont été externalisés fin 2005 : IBM et Accenture, qui disposent de centres de gestion en Inde, aux Philippines, au Brésil, en Pologne ou en République tchèque, ont emporté le marché. Implantée à Schaffhouse, en Suisse, une centrale s’occupe désormais de tous les achats des matières premières pour la multinationale, ce qui, en plus de la « rationalisation » des achats, permet de transformer les usines en « centres de coûts » et la centrale d’achat, basée sur un territoire d’un canton bien connu comme paradis fiscal, en « centres de profits ». Et, dans tous les pays, la réorganisation à grande échelle d’Unilever, pompeusement baptisée « Unilever One », offre l’occasion de réduire le nombre de postes dans les fonctions administratives et dans le management : en Italie, par exemple, le siège d’Unilever est en train de passer de 1 500 salariés à 900. À Rueil-Malmaison, Unilever tente de supprimer, depuis plusieurs mois, 200 postes (sur 1 300 salariés).
Accablés, mais pas surpris, les syndicats de la multinationale. « Nos groupes réalisent des bénéfices vertigineux, à deux chiffres pour certains, et ne nous laissent que des licenciements sociaux à gérer, indique la fédération CFDT de la chimie, dans un communiqué. Le nombre des emplois en France dans le secteur détergents-cosmétiques a baissé de plus de 50 % en dix ans alors que les bénéfices se sont envolés et que la rémunération des dividendes donne le vertige. » Depuis plusieurs années, à travers délocalisations, externalisations, réorganisations, cessions d’activités et fermetures de sites, les salariés font les frais de la financiarisation accrue de la multinationale. « Je pense que, dans les cinq prochaines années, cinq des sept usines d’Unilever aux Pays-Bas seront parties si nous n’arrivons pas à stopper le processus à l’oeuvre, déplorait le syndicaliste hollandais Lucas Vermaat, en 2005. Elles auront été délocalisées vers les pays à bas coût. »
Une seule solution, la délocalisation ?
En France, où Unilever emploie encore 4 500 personnes au siège national et dans dix sites de production (voir notre infographie), l’inquiétude est très vive aussi. À Duppigheim (Bas-Rhin), les 500 salariés des deux usines Knorr (soupes en briques antiseptiques et aliments lyophilisés) observent, avec inquiétude, le projet, annoncé au printemps, de « transfert » de leur centre de recherche et de développement en Pologne (lire ci-contre). « Les usines du groupe sont en concurrence entre elles au niveau européen, observe Patrick Dubois, délégué FO des sites bourguignons Amora et Maille. En France, nous vivons dans la crainte de délocalisations. La fabrication des vinaigrettes a déjà été déplacée vers la République tchèque. Étant donné le coût de production des sauces sur le site dijonnais, nous sommes inquiets et nous avons alerté à plusieurs reprises les pouvois publics sur les risques de fermeture. » Après avoir bataillé l’hiver dernier pendant plusieurs mois contre Unilever qui voulait supprimer 60 emplois (sur 250) sur le site de production des thés et infusions Lipton, à Gémenos (Bouches-du-Rhône), Olivier Leberquier, délégué CGT, démonte l’argument en Europe de l’Ouest : « On parle beaucoup du coût du travail, mais il faut savoir que sur une boîte de sachets de thé vendue entre 1,7 et 2,40 euros, le coût des salaires, charges comprises, des salariés de Gémenos est à peine de 14 centimes… Que faut-il faire de plus ? »