Le Figaro Magazine 22 09 07 par AZIZ ZEMOURI
La justice française, qui enquête sur les maladies de militaires envoyés dans le golfe Persique, s'intéresse aux travaux d'un médecin qui met en cause l'utilisation de produits toxiques.
Alors que des experts s'interrogent sur le rôle des pesticides dans le développement de certains cancers et d'affections nerveuses, en examinant particulièrement le cas de malades antillais, le fameux syndrome de la guerre du Golfe fait l'objet d'expertises comparables.
On se souvient que plusieurs années après l'opération «Tempête du désert» de 1991, des vétérans américains, anglais et français avaient demandé des comptes à leur hiérarchie en raison des multiples symptômes dont ils souffraient. Principalement en cause, leur exposition prolongée à la poussière d'uranium appauvri.
Jusqu'à présent, le ministère de la Défense française continue de douter que les maladies contractées - des cancers et des déficiences du système immunitaire - soient la conséquence de leur mission dans le golfe Persique en 1991. Dès 2004, pourtant, les autorités américaines, puis la justice britannique un an plus tard, avaient reconnu ces pathologies qui affectent leurs boys. Troubles cognitifs, de la mémoire ou de la concentration et troubles de l'humeur, maladies musculo-squelettiques (arthralgies, myalgies et raideurs articulaires), voire troubles neurotoxiques.
En France, le pôle santé du TGI de Paris, dirigé par la juge Marie-Odile Bertella-Geffroy, instruit, depuis 2003, une quarantaine de plaintes recueillies parmi le millier de militaires victimes de troubles et ayant servi au sein de la division Daguet.
Alors que les auditions de la hiérarchie militaire se poursuivent, le pôle santé s'intéresse aux travaux du Dr Gérard Pello, qui étudie depuis douze ans les effets des pesticides sur le corps humain. En dehors des conséquences sur la santé de l'exposition des soldats aux rayons et aux inhalations d'uranium qui auraient pu déclencher un certain nombre de pathologies, le terrain des pesticides n'a été que peu défriché.
Le rapport de l'Inserm de juillet 2004 évoque néanmoins «un consensus scientifique sur leurs effets toxiques aigus, en dépit d'une incertitude et des controverses sur les possibles effets à long terme des expositions prolongées à faible dose, surtout lorsque d'autres facteurs y sont associés (stress ou chaleur)».
Dès 1995, le Dr Gérard Pello, spécialisé en gériatrie, constate que ses patients, principalement des agriculteurs dans la force de l'âge, se plaignent de fatigue chronique, de douleurs musculaires ou de troubles de la mémoire. Les symptômes décrits sont les mêmes que ceux observés, selon lui, chez les vétérans du Golfe soumis eux aussi à des doses massives d'«organo-phosphorés», une des trois classes de pesticides.
Il affirme aujourd'hui que l'usage des pesticides est à l'origine de l'altération du système nerveux d'un certain nombre de ces vétérans. «Leur système nerveux autonome, qui régule et coordonne les fonctions vitales de l'organisme, présente des anomalies», explicite le praticien. C'est en auscultant, à sa demande, un ancien de la division Daguet que le Dr Pello a pu faire le lien avec ses propres patients. Tous ont été en contact avec des pesticides.
Selon l'instruction judiciaire, l'épandage massif de produits nocifs durant les opérations de prépositionnement, en octobre 1990, avant l'offensive terrestre menée en janvier 1991, a déclenché l'intoxication quasi immédiate d'une centaine de soldats.
Dans le cadre du dossier judiciaire, la piste des pesticides est évoquée parmi d'autres. «Pour déterminer la validité de mon hypothèse, il faudrait utiliser un marqueur de la maladie : c'est grâce au dosage des enzymes qu'on saura si les vétérans de la guerre du Golfe ont bien contracté leurs maladies au contact des organo-phosphorés.» Cela n'a rien de révolutionnaire en soi, c'est exactement le protocole utilisé pour déterminer par exemple une anémie : il faut réaliser le dosage des globules rouges.
Une étude américaine parue en mai 2007, citée par l'agence Science-Presse, a d'ores et déjà établi un lien entre les pesticides et le syndrome de la guerre du Golfe : «Des chercheurs de l'université de Boston ont examiné le cerveau de 36 vétérans, dont la moitié se plaignaient d'au moins six symptômes différents parmi les suivants : fatigue, céphalées, douleurs articulaires, nausées, pertes de mémoire et démangeaisons. L'examen radiologique du cerveau des vétérans souffrant de nombreux symptômes révéla aux scientifiques que leur cortex cérébral (leur matière grise) était réduit de 5% comparativement à celui des autres. Leur habileté à répondre à des tests d'apprentissage et de mémoire était aussi inférieure par rapport aux sujets sains.» La neurologue Roberta White, qui a dirigé l'équipe de chercheurs, a indiqué que ces phénomènes pourraient être reliés «à l'exposition à des substances dangereuses durant la première guerre du Golfe». Aux Etats-Unis, la recherche continue, alors qu'en France c'est la justice qui mène l'enquête. |