La version en cours d'expérimentation n'offrira pas au consommateur de visibilité sur les économies d'énergie réalisées
Le compteur d'électricité communicant, qui deviendra la norme en France à partir de 2012 pour adapter le réseau électrique aux défis du développement durable, ne permet pas aux ménages, sous sa forme actuelle, de maîtriser leur consommation d'énergie. C'est la conclusion d'une note confidentielle de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) destinée au ministre de l'écologie, dévoilée par l'AFP, mardi 9 novembre. Ce manquement du compteur à l'un de ses principaux objectifs est dénoncé depuis des mois par des associations de consommateurs. Venant de l'Ademe, la critique prend un nouveau poids.
La relance de cette polémique intervient alors que la Commission de régulation de l'énergie (CRE) vient, lundi 8 novembre, d'ouvrir un site Internet et de publier un ouvrage (L'Electricité du futur, un défi mondial, éd. Economica, 186 p., 27 euros) dédiés aux smartgrids. Ces " réseaux intelligents " doivent, notamment, intégrer au réseau les multiples sources d'énergies renouvelables, réduire la demande d'électricité, aplanir les pics générateurs de pannes...
Cette révolution implique que producteurs, distributeurs et consommateurs soient informés en temps réel de la consommation d'électricité. C'est le rôle du compteur communicant. La Commission européenne a demandé que 80 % des boîtiers de l'Union soient changés d'ici à 2020. En France, ErDF, filiale d'EDF et gestionnaire du réseau, a été chargée de concevoir l'appareil qui remplacera les 35 millions de compteurs du pays. Baptisé Linky, ce modèle est testé dans les régions de Tours et de Lyon. " Linky permettra de mieux gérer le réseau, mais le compteur ne restitue pas du tout les données qu'il relève aux consommateurs, donc il ne leur offre aucune garantie d'économie d'énergie ", observe Mélanie Schwarz, directrice exécutive des programmes à l'Ademe.
Gestion fine
Les économies réalisées par le consommateur justifient pourtant le choix de lui faire payer l'installation de ces nouveaux compteurs. Selon ErDF, le gain devrait être de 10 % à 15 %, compensant le coût du boîtier, estimé entre 120 et 240 euros. Sans économies d'énergie, l'argumentaire s'écroule. " On fait payer aux particuliers un compteur qui n'a d'avantages que pour ErDF ", résume Caroline Keller, chargée de mission à l'UFC-Que choisir.
Pour Mélanie Schwarz, de l'Ademe, " les ménages ne réduiront leur consommation que si on leur donne des informations utiles en temps réel. Il faudrait pouvoir comparer sa consommation avec des valeurs de références, des moyennes, qui signalent des anomalies... "
Problème : 17 millions de compteurs sont situés à l'extérieur des logements. Or, ErDF n'a pas prévu d'afficheur à l'intérieur. Son installation coûterait 50 euros supplémentaires, soit 850 millions au total, selon l'Ademe. " Il n'est pas normal d'empêcher les revenus modestes de disposer de ces informations ", estime Mme Schwartz.
Pour accéder à une gestion fine de sa consommation, le client devra acheter des boîtiers supplémentaires aux fournisseurs d'électricité. Pour Philippe de Ladoucette, le président de la CRE, " la question est de savoir de quel minimum tout le monde doit bénéficier, donc ce qu'on fait payer au consommateur sans lui donner le choix ". Selon lui, il faut " laisser de la place à la concurrence et à l'innovation " pour les économies d'énergie et " laisser le choix au consommateur d'acheter ou non ces options ".
En mars 2011, la CRE doit établir le bilan de l'expérimentation pour le ministre de l'écologie, qui décidera alors s'il faut généraliser Linky. " L'expérimentation ne vérifie pas s'il y a baisse de la consommation, c'est un test technique qui répond aux besoins d'ErDF ", regrette Caroline Keller, de l'UFC. Contactée par Le Monde, ErDF n'a pas souhaité s'exprimer.