ENTRETIEN IT, L'ENQUêTE CONTINUE ERDF, le distributeur quasi-exclusif d’électricité en France, teste actuellement son compteur communicant Linky. Mais celui-ci est controversé. La présidente du directoire d’ERDF, Michèle Bellon, répond point par point à la polémique.
Le monde de l’énergie annonce l’avènement du ''Smart Grid''. A quand un réseau électrique intelligent ?Michèle Bellon : La modernisation du réseau électrique a déjà commencé. Le Smart Grid ne sera pas un big bang. Déjà, le réseau de distribution s’équipe de capteurs et d’organes de manœuvre télécommandés. Pour preuve, les équipes d’ERDF ont développé un logiciel ''auto-cicatrisant'' : quand un tronçon du réseau n’est plus disponible, il calcule un parcours alternatif.
Mais ERDF est loin de piloter le réseau en temps réel…
Michèle Bellon : En cas de tempête ou si une voiture heurte un poteau, ERDF ne détecte pas les coupures d’électricité. Il faut qu’un consommateur téléphone à nos équipes pour nous prévenir. Avec le compteur communicant Linky, nous pourrions être avertis automatiquement… puisque le compteur ne communiquerait plus.
Sauf que l’efficacité de Linky est contestée. Pourquoi ne pas privilégier la rénovation du réseau électrique ?
Michèle Bellon : Les investissements redémarrent. En 1992, ERDF investissait 3 milliards d’euros dans l’entretien et l’extension du réseau. Ce montant a baissé à 1,5 milliards d’euros en 2005. Mais, à cause de la baisse de qualité du réseau, les investissements ont réaugmenté. Ils ont atteint 2,5 milliards d’euros en 2010.
Pourquoi faudrait-il déployer le compteur Linky ?
Michèle Bellon : En France, l’abonnement est fonction de la puissance souscrite. Sur le terrain, tous les cas de figure existent. Un nombre significatif de clients, par exemple, déplombent – c’est-à-dire déconnectent – leur disjoncteur. Ponctuellement, ils ont besoin de hausses de puissance. Prenez les viticulteurs : ils ont un problème une fois par an, quand ils utilisent leur pressoir. Ce jour-là, ils consomment une puissance supérieure au reste de l’année. Grâce à un compteur communicant, pouvoir augmenter la puissance rapidement et à distance est un service important. C’est aussi le cas si un client veut passer du chauffage au fioul à l’électrique. Autre exemple, avec le photovoltaïque, il faut plusieurs compteurs pour des questions de tarifs. Avec Linky , un seul suffira !
Quelles économies d’énergie garantissez-vous au consommateur ?
Michèle Bellon : Le chantier reste à travailler. Le service de la maitrise de l'énergie appartient-il à ERDF et au domaine régulé ? Les arbitrages restent à faire. Mais Linky n'est qu'une pierre de l'édifice, parmi d'autres. Les fournisseurs d'électricité ne savent pas encore quels services offrir. Seuls 5 % des consommateurs devraient, dans l’immédiat, être vraiment intéressés par des services de domotique.
Quelle est la vocation prioritaire de Linky ?
Michèle Bellon : La décision de lancer le compteur communicant est venue des pouvoirs publics. Le débat français a dévié sur la maitrise de l’énergie. Mais à l’origine, en 2006, son objectif était triple. D’abord améliorer la performance du distributeur d'électricité, notamment sa réactivité en cas de coupure. Ensuite, faciliter les changements de fournisseurs et donc la dérégulation du marché. Enfin, établir des factures exactes, et non plus estimées.
A quel coût ?
Michèle Bellon : En comptant le prix du matériel et son installation, le compteur coûte 120 euros à ERDF. Mais ce n’est pas le prix auquel il sera facturé au consommateur. Il faudra en déduire les économies que nous allons réaliser grâce à lui. Concrètement, ni le montant, ni les modalités de facturation ne sont encore établies. Les économies générées sont en cours de chiffrage. Tout dépendra de ce que les autorités nous demanderont. A périmètre d'actions constant, Linky engendrera des économies : entre les relèves et les interventions, ERDF estime à 35 millions les kilomètres parcourus en moins chaque année. Mais au vu du potentiel de Linky, peut-être nous attribuera-t-on de nouvelles tâches. Le relevé sera-t-il mensuel ? Plus fréquent ?
Quelle est votre feuille de route pour la suite du projet Linky ?
Michèle Bellon : Aujourd’hui, les modalités de déploiement ne sont pas définies. Le calendrier prévoit la fin de l’expérimentation au 31 mars 2011. Ensuite, nous aimerions éviter toute rupture. Pour ne pas perdre de temps, on pourrait lancer la concertation pour l’appel d’offres au premier semestre.
Et rattraper le retard français ?
Michèle Bellon : Sur les 50 millions de compteurs communicants installés dans le Monde, 27 millions le sont en Italie. La Suède et la Californie en possèdent chacune 8 millions. Le reste est dispersé. En Italie, les compteurs ne font que remonter l’information, à l’origine pour lutter contre la fraude. En fait, la France est la plus en avance. Sur les fonctionnalités du compteur, sur la conception du protocole de communication…
Propos recueillis par Thomas Blosseville