Quand nos villes seront vertes : le chantier des écoquartiers.
Ecoquartiers, la ville en vert (portfolio)
Où les construire ? Avec quels matériaux ? Comment les peupler ? Sans mode d'emploi, des élus toujours plus nombreux défrichent le terrain des écoquartiers. Enquête sur une utopie en chantier.
ghettoïsées, quartiers pavillonnaires clonés, zones commerciales anarchiques... Et pour relier le tout, toujours plus de routes, de ronds-points, de bretelles. L'urbanisme à la française est un désastre, cela commence à se dire. Télérama l'évoquait en début d'année. France 2 embrayait peu après dans Complément d'enquête, suivi d'un numéro du Point dénonçant l'empire des grandes surfaces bâti grâce à « la connivence douteuse » de certains maires. Quant aux images des inondations mortelles en Vendée ou dans le Var, elles resteront comme le symbole de cette urbanisation sans contrôle.
Dans ce paysage peu réjouissant, voilà que pointe un peu d'espoir : l'écoquartier ! Chaque élu, chaque candidat en a un dans ses cartons. Et bientôt, chaque promoteur, avec jolie plaquette sur papier glacé à l'appui ! Ce petit bout d'utopie où ville et nature cohabitent en harmonie est né en Europe du Nord à la fin des années 1980, en opposition à l'urbanisme du tout-voiture et du gaspillage énergétique. Dans les années 2000, la lutte contre le réchauffement climatique l'a popularisé. L'un après l'autre, nos élus ont fait le voyage pour Beddington près de Londres, Fribourg en Allemagne, Malmö en Suède. Ils ont découvert des immeubles étranges qui ressemblent parfois à des serres, avec des panneaux solaires sur les toits. Certains sont revenus convertis et se sont lancés, comme à Grenoble ou à Dunkerque (lire encadrés). D'autres les suivent, toujours plus nombreux, désormais pressés par le Grenelle de l'environnement qui recommande « la construction d'un écoquartier avant 2012 dans toutes les communes qui ont des programmes de développement de l'habitat significatifs ». D'ici à quelques années, des dizaines d'écoquartiers vont sortir de terre.
Ce volontarisme vert est plutôt réjouissant, même si l'on se doute bien que, dans certaines villes, il servira surtout à capter les voix écolos aux prochaines élections. En réalité, on ne sait pas trop ce que le concept va donner. Personne ne sait d'ailleurs définir avec précision ce qu'est un écoquartier. Loin d'être une solution miracle, « il faut plutôt le voir comme une parenthèse que certains ouvrent pour dire : on va fabriquer la ville autrement, expérimenter, innover, avec le droit de se tromper et de bifurquer en cours de route », explique l'architecte-urbaniste Taoufik Souami, auteur d'un livre, Ecoquartiers, secrets de fabrication, qui montre que, entre les belles idées sur le développement durable et leur mise en application, tout ne se passe pas toujours comme prévu.
D'abord, où le mettre, cet écoquartier ? De préférence en ville, s'il reste de la place, sur une friche industrielle par exemple. N'oublions pas que l'objectif est de lutter contre l'étalement urbain ! Ce qui n'empêche pas certains écoquartiers de pousser en plein champ... En principe, la voiture n'y est plus reine. Pas évident en pratique : difficile de vendre des logements sans parking souterrain et d'obliger habitants et visiteurs à se garer à l'extrémité du quartier. Les aménageurs de la zone d'aménagement concertée de Bonne, à Grenoble, n'y sont pas parvenus. Et au Grand Large, à Dunkerque, la voirie partagée piétons-autos, sans trottoir, à l'allemande, ne fonctionne pas très bien pour l'instant.
Ce qui est au point, en revanche, ce sont les solutions pour économiser l'énergie. A condition de repenser toute la construction. Le bâtiment (logement et bureaux) est en France le troisième producteur de gaz à effet de serre, après les transports et l'industrie. Pour le rendre « vertueux », il faut concevoir des immeubles compacts, bien orientés. Des immeubles sans « ponts thermiques », ces points faibles par où la chaleur s'en va. Pour cela, souvent, on isole par l'extérieur. De façon rudimentaire : une couche de mousse ou de laine de verre pas très écolo, fixée sur du béton, et cachée par un fragile placage ou un bardage. L'eau est chauffée grâce aux panneaux solaires, la ventilation est à double flux (l'air vicié intérieur réchauffe l'air frais entrant), la géothermie régule les températures.
Dans le meilleur des cas, l'immeuble devient « à énergie positive » : il produit plus qu'il ne consomme ! Ce devrait être le cas de la halle Pajol, à Paris, « la plus grande centrale solaire de centre-ville en France », conçue par Françoise-Hélène Jourda. Grande spécialiste de l'écoconstruction, cette architecte milite pour l'utilisation généralisée du bois, bien meilleur isolant que le béton : « L'accroissement annuel de la forêt européenne permettrait de répondre à tous les besoins de construction partout en Europe », argumente-t-elle. De plus, le bois aiderait à bâtir une ville recyclable, facilement évolutive ! Mais il va falloir structurer un secteur du bois balbutiant, et batailler contre une puissante filière française du béton (Vinci et Bouygues sont les deux leaders mondiaux du bâtiment, Lafarge le numéro 1 mondial du ciment) qui utilise tous les arguments pour retarder cette évolution. Les géants de la construction l'ont mauvaise, analyse Taoufik Souami. « Pendant des décennies, la France leur a demandé de devenir les meilleurs et, du jour au lendemain, ils s'entendent dire : vous arrêtez tout ça, vous reprenez la copie à zéro ! »
Car l'écoconstruction est l'enjeu d'une bagarre économique à coups de procédures et de labels aux intitulés ronflants : HQE (haute qualité environnementale), le plus connu, BBC (bâtiment basse consommation, obligatoire en 2013), THPE (très haute performance énergétique)... « Nous sommes envahis par les normes, c'est une catastrophe. Plus personne ne sait s'y retrouver », déplore Françoise-Hélène Jourda. D'autant qu'un bâtiment HQE peut ne pas être du tout de haute qualité environnementale : il suffit d'être « très performant » dans trois critères sur quatorze pour obtenir la certification ! Le fond de l'affaire, c'est que HQE n'est pas vraiment une norme mais une marque déposée par les fabricants de matériaux. « Arnaque inique », dénonce l'architecte Rudy Ricciotti dans un pamphlet cinglant. Mais, HQE ou pas, « la construction neuve ne représente que 1 % du parc immobilier, rappelle Françoise-Hélène Jourda. Ce n'est pas ça qui va réduire les émissions de gaz à effet de serre ! Elle a valeur d'exemple, bien sûr, mais si on veut vraiment être efficace, l'urgence est de réhabiliter les bâtiments existants, de soigner la ville ! » Le Grenelle de l'environnement se fixe d'ailleurs pour objectif la rénovation de huit cent mille logements sociaux. On en est à quarante mille...
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