L'uranium en France: 210 sites d’exploitation du minerai radioactif
Avant même sa diffusion, mercredi 11 février, sur France 3, le magazine "Pièces à conviction" aura mis en émoi le monde du nucléaire. Intitulée Uranium, le scandale de la France contaminée, cette enquête décrit les lacunes entourant la gestion, par Areva, des 210 sites miniers d'uranium français, dont le dernier a fermé en 2001. Les 166 millions de tonnes de "stériles" (roches à trop faible teneur en uranium pour être exploitées), mais aussi les 50 millions de tonnes de résidus issus des usines d'extraction, stockés sur 17 sites miniers, constituent un héritage encombrant.
1948. Début de l'exploitation de mines d'uranium en France. La dernière mine a fermé en 2001.
210. C'est le nombre de sites, répartis sur 25 départements, ayant fait l'objet d'activités d'exploration, d'exploitation et de traitement de minerais d'uranium ainsi que de stockage de résidus.
166 millions de tonnes. Evaluation des "stériles", des roches jugées trop peu chargées en uranium pour être exploitées, parfois réutilisées en génie civil.
50 millions de tonnes. Masse des résidus - essentiellement des boues radioactives - issus de l'activité d'extraction de l'uranium, stockés sur 17 sites.
"Je demande juste à Areva, qui m'apparaît responsable clairement, juridiquement et entièrement, de faire son boulot. Je demande d'avoir le rapport d'enquête" a déclaré Jean-Louis Borloo dans une interview accordée, mercredi, à France 3. Le ministre reconnaît que l'exploitation des mines d'uranium était auparavant "un domaine globalement réservé", qui échappait au contrôle du gouvernement et du parlement. "Le sujet des résidus des fermetures du passé, qui a été traité de manière négligente, sera traité", conclut Jean-Louis Borloo.
L'émission décrit des situations préoccupantes : utilisation de stériles radioactifs comme remblais dans des zones fréquentées par le public ; fuites dans l'environnement de radioéléments issus des résidus ; construction sur des zones "réhabilitées" de bâtiments qui se révèlent contaminés au radon, un gaz radioactif... Le documentaire s'interroge aussi sur l'état de santé des mineurs chargés de l'extraction des roches radioactives : les décès par cancer du poumon sont 40 % plus élevés que dans une population comparable, et ceux par cancer du rein deux fois plus nombreux.
COMPTEURS GEIGER
L'enquête s'appuie notamment sur le travail de fourmi de particuliers qui, armés de compteurs Geiger, arpentent les environs des anciennes mines pour identifier les zones où les stériles ont été réutilisés par des entrepreneurs de travaux publics. Elle s'est aussi beaucoup nourrie de l'expertise de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), un laboratoire de mesure indépendant. Les associations ont obtenu quelques succès. Autour du site des Bois-Noirs (Loire et Allier), Areva a dû traiter plusieurs sites où des bâtiments, construits sur des remblais radioactifs, présentaient des taux de radon alarmants. Mais elles ont aussi perdu des batailles, comme en 2005, lorsque Areva, accusée de polluer l'environnement dans le Limousin, a été mise hors de cause par la justice.
Bruno Chareyron, directeur scientifique de la Criirad, est las de ce jeu du chat et de la souris. Il réclame une réglementation nationale fixant un niveau de risque résiduel acceptable. Il estime que, même s'il s'agit le plus souvent de "très faibles doses", les méthodes de mesure et les seuils retenus par l'administration ne sont pas adéquats. Ses préconisations ? Informer le public de la présence de ces matières radioactives ; se donner les moyens de conserver sur le long terme les informations concernant les sites ; traiter ceux-ci, "sachant que leur responsable, Areva, est connu et solvable".
Coïncidence ? Quelques jours avant la diffusion de "Pièces à conviction", l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a mis en ligne une base de données sur les sites miniers incriminés. L'IRSN a aussi publié, lundi 9 février, un rapport sur les anciens sites miniers du Limousin. A partir de 1984, la Cogema (dénomination antérieure d'Areva) a mis en place un système visant à encadrer l'utilisation des stériles, interdisant leur usage dans les bâtiments. Cette démarche "pertinente", note l'IRSN, présentait des limites : "Manque de précisions concernant certaines cessions, absence de vérification sur les lieux de réutilisation en particulier." Pour la période antérieure, la situation est plus nébuleuse.
"Jusqu'à présent, nous n'avons pas trouvé de situation de danger immédiat ou majeur", rassure André-Claude Lacoste, "patron" de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il note que les résidus seront incorporés au prochain Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Quant aux stériles, ils constituent selon lui un problème "plus diffus", pour lequel la "mémoire locale" devra être mise à contribution.
Pour sa part, Areva, qui avait saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel contre une émission supposée "à charge", se défend de négliger ces questions. "On n'est pas dans le caché, dans le non-su", assure Yves Dufour, porte-parole des activités minières du groupe. Il en veut pour preuve la mise en place, dans le Limousin, d'un groupe d'expertise pluraliste (GEP), qui étudie la situation depuis 2006.
Yves Marignac, directeur de Wise-Paris, un expert peu suspect de complaisance vis-à-vis du nucléaire, participe activement au GEP, et note que celui-ci constitue en effet une "première". Mais pour les résidus, "il est encore trop tôt pour dire si nous pourrons dégager des solutions satisfaisantes à long terme pour ces sites, lorsque l'exploitant s'effacera", dit-il.
Sur le Web :
www.irsn.fr.
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