« Si les prix de l’alimentation continuent d’augmenter, des centaines de milliers de personnes vont mourir de faim ». Dominique Strauss-Kahn, ancien dirigeant socialiste français et nouveau président du Fmi, a lancé il y a quelques jours une petite bombe : il faut s’attendre à 100 millions de personnes supplémentaires souffrant de sous-alimentation dans le monde. Celle-ci affectait déjà 854 millions de personnes, contre 800 millions entre 1995-2007, après une nette amélioration par rapport à la situation des années 69-97, selon le dernier rapport de la FAO. La famine redevient donc une menace pour près d’1 milliard d’humains.
Celle-ci affectait déjà 854 millions de personnes, contre 800 millions entre 1995-2007, après une nette amélioration par rapport à la situation des années 69-97, selon les données du rapport 2007 de la FAO, l’organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture.
Il n’a pas fallu attendre les rapports des experts pour voir se multiplier des émeutes de la faim en Côte d’Ivoire, Sénégal, Egypte, Haïti, Indonésie, Thaïlande...
La plupart des pays les moins développés ont vu le prix de leurs repas quotidiens prendre une augmentation de 40 % ! Comme les dépenses alimentaires représentent de loin le principal poste de ces populations (de 70 à 90 % du revenu), on mesure l’étendue de cette nouvelle crise.
Prix agricoles : 35 % par an
Trente-trois pays sont gravement touchés, comptait Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale, le 2 avril dernier. Trente-sept ! Corrige le FMI deux semaines plus tard. Il est vrai que les dernières statistiques donnent le vertige : le cours du riz augmente ainsi de 75 %, sur ces deux derniers mois, le blé gagne 120 % en un an. Céréales, maïs, cultures fruitières, lait, viandes, tous les prix explosent. Le phénomène parait aussi soudain que massif. Pourtant, des indicateurs sont au rouge depuis plusieurs années : les stocks sont au plus bas quand la demande devient de plus en plus forte.
La production de riz augmente ainsi deux fois moins vite que l’accroissement de la population mondiale. Certes, on peut évoquer des aléas climatiques, comme la sécheresse en Australie (grand exportateur de céréales) ou les inondations dans l’Asie du Sud-Est. Mais avec le réchauffement de la planète, nous savons que nous rentrons dans une longue période « d’aléas climatiques » qui touchera surtout les pays les plus pauvres.
Les autres facteurs de ces hausses de prix sont bien plus liés à l’économie humaine et plus particulièrement sous sa forme globalisée :
La montée en puissance de grands pays comme l’Inde ou la Chine qui connaissent encore des taux de malnutrition importants, achètent massivement des denrées sur les marchés extérieurs.
La raréfaction des sources d’énergie a placé le pétrole sur un cours stabilisé au-dessus de 100 dollars (120 avant-hier). La hausse de l’énergie se répercute sur toute la filière agroalimentaire, du coût du fuel des tracteurs jusqu’au fret aérien, en passant par le relèvement des coûts de fabrication de l’engrais, des pesticides ou des aliments pour bétail.
Afin de combattre le réchauffement climatique et les émissions de gaz carbonique, on a lancé à grande échelle la production de carburants « propres », les « biocarburants ». Les subventions d’État et la fiscalité ont convaincu des masses d’agriculteurs brésiliens ou mexicains que c’était l’avenir.
On n’avait pas vu que l’on soustrayait ainsi des millions d’hectares à l’agriculture classique, sans moins polluer. De même, l’industrialisation de l’agriculture a de longue date privilégié des monocultures rentables (café, coton, cacao, caoutchouc...) au détriment des productions vivrières qui peuvent garantir l’autosuffisance alimentaire.
Malgré les allègements de dette, 122 pays avaient une ardoise de 2 100 milliards de dollars de dettes cumulées en 2007. Les plans d’ajustement structurels du FMI imposent toujours des plantations d’exportation qui doivent servir à produire des devises et permettre aux pays du Sud de payer les intérêts de la dette aux banques du Nord. Plus généralement, 75 % de la population mondiale vit dans des zones rurales mais l’agriculture ne perçoit que 4 % des investissements publics et 4 % de l’aide au développement !
Facteur aggravant, la spéculation. Les fonds spéculatifs mondiaux, refroidis par la crise de l’immobilier se sont précipités sur le marché des matières premières faisant monter l’ensemble des cours.
Face à cette crise généralisée, comment régissent les pays concernés ? Ils lèvent en urgence les taxes sur les produits agricoles importés et limitent leurs exportations. « Sacrilège ! », s’égosillent les libéraux comme Pascal Lamy, le patron de l’OMC qui appelle de ses voeux une ouverture encore plus profonde des marchés dans un monde encore plus globalisé. Perseverare diabolicum est. Persévérer (dans l’erreur) est diabolique.
France : petits caddies et mal-bouffe
La France, pays riche, ne subit évidemment pas cette nouvelle vague de famine. Selon le rapport de FAO, elle fait partie du bloc occidental qui, avec l’Argentine, l’Australie et la Libye connaissent moins de 2,5 % de population sous-alimentée. Il n’en reste pas moins vrai qu’il est difficile de connaître le nombre réel et l’état alimentaire des Sans-domicile-fixe (SDF) ainsi que celle d’une grande partie des personnes vivant en dessous ou aux franges du seuil de pauvreté, estimée à environ 6 millions de personnes.
La situation de ces populations s’aggrave d’autant plus avec le regain de l’inflation.
Selon l’Insee, l’institution nationale des statistiques, l’inflation, en mars dernier, atteignait en France sur douze mois, 3,2 %. Il s’agit d’un chiffre contestable et de plus en plus contesté. L’Insee procède depuis des décennies sur la base de l’étude des prix de paniers de produits. L’électronique, l’électroménager blanc (machine à laver, frigidaire...) et brun (télévision, Hi-fi), les ordinateurs, les communications téléphoniques ou postales connaissent depuis vingt ans des baisses régulières ou au pire des stabilisations en Euro réels. C’est ainsi le cas pour les automobiles, tous produits coûteux. Le problème ? C’est qu’on n’achète pas une voiture ou un ordinateur ou un four électrique tous les six mois. Dans les dépenses courantes des familles modestes, les budgets notamment alimentaires explosent.
Autre minoration, l’Insee n’intègre pas de nombreux produits et services. Sont ainsi exclus de l’indice, le tabac taxé de façon fortement croissante pour des raisons « vertueuses » de santé publique, mais également toutes les dépenses dites « contraintes », comprenant tous les coûts liés à la maison (loyer, électricité, gaz...), l’énergie (essence, fuel...), les taxes, impôts et intérêts d’emprunts. Soit 50 % des budgets des ménages.
Du fait de l’intense spéculation immobilière, par exemple, l’achat, en Ile de France, d’un logement même exigu devient quasi impossible pour un ménage pour un revenu modeste. A Paris, le même logement est hors de portée d’un ménage appartenant aux classes moyennes. Le phénomène est à des proportions diverses identique dans toutes les grandes villes. La montée du mètre carré à l’achat a évidemment entraîné un boom des loyers : il faut savoir qu’un tiers des SDF de l’Ile de France sont des salariés qui ne gagnent pas assez pour pouvoir se loger et qui vivent dans leurs voitures ou dans des caves.
Mal logée (sauf pour ceux qui ont eu l’opportunité d’acheter leur appartement il y a deux ou trois décennies), la population française a maintenant le sentiment qu’elle commence à moins bien se nourrir. L’augmentation des prix est telle (4,5 % de croissance des prix des prix alimentaires par mois, 30 % pour les produits laitiers) que tout le monde calcule. Dans les supermarchés, les « caddies » sont loin d’être remplis à ras bord. A tel point que les grandes surfaces commencent à s’inquiéter d’une certaine désaffection du public. Toutes ces grandes entreprises ont déjà lancé des surfaces dites de « hard discount » où les prix sont plus bas mais où la qualité de la nourriture s’en ressent fortement. Il devient imprudent de manger de la viande de grande surface.
Confronté à l’inflation, les Français constatent également que les salaires n’augmentent pas et ne sont pas prêts de le faire.
Premiers signes d’une vraie grogne sociale
Une majorité de mes concitoyens ont voté pour Nicolas Sarkozy, il y a moins d’un an, parce qu’il se présentait comme le « candidat du pouvoir d’achat ». Le chef de l’État, qui est le patron direct de quelque 6 millions de fonctionnaires, leur a généreusement concédé cette année, 0,8% de hausse des salaires.
On ne doit donc pas s’étonner de la plongée de notre Président dans tous les sondages. Lundi, Libération annonce que 59 % des Français n’approuvent pas du tout sa politique qu’elle soit économique ou sociale, hier, Paris Match relève ce taux à 72 %.
Il est vrai que le nouveau Président a multiplié les erreurs d’analyses, les faux-pas et les décisions contestables. Il avait tablé sur une croissance de 2,5 %, elle ne sera pas supérieure à 1,4 % en 2008. L’inflation contrainte depuis 20 ans connaît un fort regain. Les premières et les seules mesures positives du gouvernement n’ont concerné que les Français les plus riches ou disposant déjà d’un capital, notamment immobilier : c’est le célèbre « paquet fiscal ». Le Président lui-même, par ses frasques, incarne à lui tout seul, la droite « bling-bling, people et paillettes. La volonté de préserver à tout prix les abondantes marges des entreprises et d’éviter de trop grever le budget de l’État a dans cette conjoncture une seule issue : comprimer la seule variable d’ajustement, la masse salariale, en clair, faire payer un peu plus les salariés. Mais après une élection présidentielle faite sur le thème du « travailler pour gagner plus », on préfère évoquer le mot fourre-tout de « réformes ».
A la dure !
Augmentation des frais de santé, vaste mouvement de suppressions d’hôpitaux, baisse des indemnités de chômage, augmentation des coûts de transports, de la fiscalité locale.., Il n’y a pourtant pas une journée ou un ministre ou un autre n’apporte pas sa petite contribution supplémentaire. Quitte à en rajouter dans l’incohérence gouvernementale et dans le brouillage de la communication présidentielle. Un seul exemple : les « seniors », ou moins pudiquement, les salariés âgés. Pour équilibrer les comptes sociaux et réduire le poids des pensions de retraites, nos chers technocrates n’ont trouvé qu’une seule solution : faire travailler les gens plus longtemps. Mais passé 45 ans, les salariés n’intéressent plus beaucoup les entreprises, passé 50 ans, elles veulent s’en débarrasser au profit de salariés plus jeunes, mieux formés et bien moins coûteux. Pas question, évidemment, que le gouvernement prenne des mesures contraignantes pour directions des sociétés. Au résultat, les salariés âgés sont contraints de travailler de plus en plus longtemps avec des entreprises qui veulent de moins en moins d’eux.
Pour parodier Swift, l’une des meilleures solutions à ces problèmes complexes de retraites, de comptes sociaux et de pouvoir d’achat, serait d’autoriser que l’on mange les seniors.
Germaine Tillon, une femme exceptionnelle
Germaine Tillon vient de mourir à 100 ans. Jeune femme, elle étudie l’anthropologie. Préférant le terrain aux travaux de laboratoire, elle part en 1934 étudier les Chaouias, seule, à « 14 heures de cheval du 1er poste français ». Elle y restera six ans, accumulant une somme d’informations ethnologiques. En 1940, elle rejoint la France occupée par l’armée allemande. Elle sera tout de suite l’une des premières résistantes, dans le réseau du « Musée de l’Homme », un des centres de l’ethnologie française.
Ce musée est devenu récemment le « Musée de l’Immigration ». Trahie, elle est arrêtée en 1942, déportée en 43. Elle continua sa résistance dans les camps de concentration. En 1949, elle fut l’une des premières à révéler les goulags staliniens. En 1954, elle repart en Algérie pour dénoncer la misère faite aux populations et créer des centres sociaux. Elle soutient le mouvement d’indépendance et oeuvrera toute sa vie pour le rapprochement entre son peuple et le peuple algérien qui fut son principal sujet d’étude comme ethnologue.
par Pierre Morville