Agriculteurs et pouvoirs publics bretons attendent avec inquiétude l'ouverture probable, le 27 juin, d'une procédure de sanctions contre la France concernant le dossier des rivières polluées aux nitrates.
Un contentieux qui date de quinze ans.
La Commission européenne pourrait saisir la Cour européenne de justice (CEJ) pour lui demander d'infliger à la France une amende de 28 millions d'euros assortie d'une astreinte journalière de 117 882 euros en raison de la pollution par les nitrates de sources d'eau potable en Bretagne.
"On craint une condamnation. Ce serait dramatique pour les agriculteurs bretons. On va encore les rendre responsables, alors qu'aucune autre région de France ne s'est autant mobilisée pour l'environnement. Je crains que la France ait l'obligation de prendre des mesures qui compromettent l'équilibre économique des exploitations", explique Joseph Menard, président de la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles, Bretagne.
Le contentieux remonte à 1992, quand l'association écologiste Eau et rivières de Bretagne avait dénoncé dans une lettre à la Commission européenne la violation d'une directive de 1975 par de nombreux captages d'eau superficielle destinés à l'eau potable. La directive limite la teneur en nitrates de ces eaux à 50 mg/l avant traitement.
Après une première mise en demeure en 1993, Bruxelles avait condamné la France en 2001.
Paris avait obtenu un sursis fin mars avec un plan d'urgence limitant la fertilisation des sols négocié dans la douleur avec les agriculteurs inquiets d'une baisse des rendements.
"Nous avons le sentiment d'un gâchis en termes de temps perdu et d'argent mal employé. Si on avait mis la moitié de l'argent des amendes pour permettre une réorientation de l'agriculture bretonne...", soupire Jean-François Piquot, porte-parole d'Eau et Rivières.
Selon lui, les sanctions contre la France seront "une défaite pour tout le monde : pour l'Etat qui a cédé au lobby de l'agroalimentaire, pour un certain modèle agricole ainsi que pour le monde associatif qui a échoué à se faire entendre".
Les autorités sanitaires soulignent l'inexistence d'effets sur la santé, les eaux étant traitées pour être rendues potables. Mais l'excès de nitrates peut entraîner la mort biologique de cours d'eau et contribue à la prolifération des algues vertes en bord de mer, fléau sur nombre de plages bretonnes.
Les effluents des élevages intensifs utilisés comme engrais sont la principale source de pollution. La Bretagne représente seulement 7% de la surface agricole du pays mais près de 50% des cochons et des volailles ainsi que 30% des bovins.
Bertrand Guizard, chargé du dossier de l'eau à la préfecture de Bretagne, souligne pourtant les efforts engagés depuis 2001.
"Grâce au traitement ou au transport des effluents, à une alimentation du bétail plus efficace et des réductions de cheptels, on a atteint une résorption de 31.000 tonnes d'azote organique en avril 2007, soit 70% de l'objectif fixé en 2001", explique-t-il. "En 20 neuf aujourd'hui". Quatre d'entre eux seront probablement fermés.
"Pour les cinq autres, on estime jouable un retour à la conformité d'ici à fin 2009, souligne Bertrand Guizard. Le problème est que le milieu réagit avec environ cinq ans de retard aux modifications des pratiques, un délai plus long qu'on ne l'imaginait au départ."