Pourquoi l'information du public sur les performances environnementales et sociales des entreprises est-elle un enjeu important pour le développement économique en Europe ?
Si l'Union européenne (UE) veut atteindre l'objectif, fixé à Lisbonne en 2000, d'une croissance "durable", respectueuse de l'environnement, du bien-être social et des valeurs qu'elle défend, les entreprises doivent améliorer leurs performances en la matière. Elles
en retireront également des avantages compétitifs sur les marchés mondiaux, où l'utilisation de technologies propres, le respect des milieux naturels et des droits des communautés locales tendent à devenir des arguments forts.
Les salariés, les consommateurs, les investisseurs ont la possibilité d'influencer les pratiques des entreprises par leur propre comportement. Et l'expérience a montré que les entreprises sont sensibles aux effets de réputation que génèrent leurs activités. Elles en perçoivent l'impact tant dans le comportement des consommateurs - une campagne de boycott, même si elle n'a pas de conséquence économique forte, crée un déficit d'image durable -, que dans celui des investisseurs - de plus en plus attentifs aux risques judiciaires -, voire des salariés - qui se sentent, et sont de fait, de plus en plus souvent coresponsables des pratiques de leurs employeurs.
La multiplication des sources d'information (rapports "développement durable", agences de notation, chartes d'engagement éthique, etc.), mais aussi de labels en tous genres (produits "verts", "équitables", etc.) ne risque-t-elle pas de dérouter le public ?
C'est un risque en effet. Il faudrait sans doute que des tiers de confiance puissent garantir la validité des informations et des indicateurs publiés, et de la méthodologie utilisée pour les élaborer. Il semble que les agences de notation et les associations de consommateurs veuillent de plus en plus jouer ce rôle. En Europe de l'Ouest, sauf peut-être en France, l'évaluation et la mesure de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) deviennent un enjeu pour les associations de consommateurs. Elles développent, souvent en partenariat avec des agences de notation, des méthodologies de plus en plus efficaces pour faire ce travail. De leur côté, les entreprises s'organisent, généralement à l'échelle d'un secteur d'activité, pour mettre au point des méthodologies communes d'évaluation et de reporting. Leur but est non seulement de rationaliser leurs activités dans ce domaine, mais aussi d'éviter que certaines d'entre elles ne développent une concurrence déloyale en surfant sur la vague de la RSE. En
fin de compte, leur but ultime est que la RSE
ne soit plus un enjeu concurrentiel. Je pense par exemple à l'Initiative clause sociale de la Fédération
(française) du commerce et de la distribution (FCD) ou à la Business Social
Compliance
Initiative (BSCI), lancée par des enseignes européennes de la grande distribution.
Mais les entreprises peuvent-elles être juges et parties lorsqu'il s'agit d'évaluer leurs propres pratiques ? Et les associations disposent-elles vraiment des moyens de contrôler des organisations aussi complexes qu'une entreprise multinationale ? Les tiers de confiance ne devraient-ils pas plutôt être les pouvoirs publics ou, pourquoi pas, la Commission
européenne ?
Ce n'est pas le chemin qui semble être pris actuellement au niveau européen : l'approche de la Commission
vise plutôt à encourager le développement d'initiatives résultant des rapports de force entre les acteurs du marché. Il faut toutefois noter des avancées notables au plan international, notamment les initiatives de l'ONU sur les droits de l'homme et les multinationales et, au plan national, dans plusieurs pays européens qui développent des stratégies publiques sur la RSE. Il
faudra, toutefois, sans doute des chocs, à la mesure de l'affaire Enron dans le domaine de la gouvernance d'entreprise, pour que se manifeste une réelle volonté d'intervention des pouvoirs publics.