..estime que la ruée vers l’or vert profitera avant tout aux multinationales et que les pays vulnérables sront les plus affectés
Par Christian Losson
Jacques Diouf est directeur général de
la FAO
Quelles peuvent être les conséquences de l’engouement pour les agrocarburants sur l’économie des pays en développement ?
L’agriculture est la source principale de revenus des 70 % de pauvres qui vivent en zone rurale. Les nouvelles opportunités liées à la production de bioénergies peuvent donc contribuer au développement rural. La bioénergie pourrait ainsi répondre aux besoins de 1,6 milliard de personnes dans le monde qui vivent sans électricité, et des 2,4 milliards d’individus qui recourent à la paille, au fumier et aux autres biomasses pour leurs besoins énergétiques. La difficulté, c’est qu’il faut que les ressources naturelles, terre, eau et forêts notamment, soient utilisées de manière durable afin de préserver aussi la biodiversité.
La mondialisation du pétrole vert ne se fera-t-elle pas au détriment des pays les moins avancés ?
Ce nouveau mouvement entraîne effectivement une augmentation des prix des productions végétales, mais aussi de l’alimentation des animaux. Le prix de la viande et du lait subit une hausse, et renchérit les importations de ces produits. Cette année, la valeur des importations alimentaires mondiales devrait ainsi subir une augmentation de 5 % par rapport à 2006.
Comme toujours, ce sont les pays les plus vulnérables qui seront les plus affectés. Le panier d’importations alimentaires des pays les moins avancés en 2007 coûterait 90 % de plus qu’en 2000. Le boom des biocarburants va entraîner une augmentation de 9% des dépenses globales d’importations alimentaires des pays en développement. Parallèlement, le niveau des réserves d’aliments dans le monde baisse. Les sécheresses affectant les régions productrices de blé et le faible niveau des stocks expliquent en grande partie les récentes augmentations des prix des produits agricoles. Et l’absence de véritable politique de maîtrise de l’eau contribue aussi à ces variations.
Conjuguées aux problèmes de réchauffement, cette ruée vers l’or vert peut-elle entraîner une multiplication des crises alimentaires ?
Les urgences alimentaires ont augmenté depuis le milieu des années 1980. De quinze opérations par an, on est passé à trente opérations annuelles depuis l’an 2000. Le changement climatique va accentuer cette tendance. Il va affecter en particulier les plus démunis, les petits agriculteurs et les pasteurs nomades qui dépendent directement d’une agriculture pluviale. En Afrique, 55 à 65 millions de personnes supplémentaires risquent de souffrir de faim vers 2080, à cause d’une élévation de température d’environ 2,5 °C
Qui profite vraiment de l’envolée de la bioénergie et donc des cours des céréales et des oléagineux ?
Si l’augmentation du prix des matières premières est favorable aux producteurs de cultures énergétiques, elle implique des coûts supplémentaires pour les agriculteurs qui en ont besoin pour nourrir leur bétail. En revanche, un coût plus faible des bioénergies par rapport à l’essence et au diesel pourrait faciliter la mécanisation et notamment l’utilisation des tracteurs et des équipements de transformation des produits agricoles.
Mais ce sont les grands producteurs agricoles et les sociétés transnationales de négoce qui sont les mieux placés pour tirer profit de cette nouvelle donne du marché. La communauté internationale doit mettre l’accent sur l’accès au sol et à l’eau, les conditions de productivité, de production et de marketing et l’investissement dans les infrastructures rurales.
Ce n’est pas vraiment ce qui se passe.
Non. Il est à craindre que les pays développés ne réagissent comme par le passé pour les productions alimentaires, en créant de nouveaux soutiens à leurs producteurs et des barrières douanières pour les bioénergies. Aux Etats-Unis, la production annuelle d’éthanol à partir de maïs devrait doubler entre 2006 et 2016, tandis que dans l’Union européenne, les volumes d’oléagineux destinés à la production de biocarburants devraient passer d’un peu plus de 10 à 21 millions de tonnes au cours de la même période. Les pays émergents font de même. Au Brésil, la production annuelle d’éthanol devrait atteindre quelque 44 milliards de litres d’ici 2016, contre 21 milliards environ aujourd’hui. La Chine
Existe-t-il des solutions alternatives pour faire en sorte que le manioc, par exemple, un aliment de base très utilisé pour la production de biocarburants, ne soit aspiré par ses débouchés énergétiques au détriment de l’alimentation ?
La mission de la FAO