Par Romain Weis, anthropologue.
Les concours de dégustation d’huiles culinaires nouvelles ou peu connues, la plupart originaires d’Afrique, comme l’huile de baobab, de coton ou de noix de cola, entre autres, sont les nouvelles attractions des salons d’alimentation. Parmi celles-ci, l’huile de coton a de bonnes chances de s’imposer parce qu’elle peut s’appuyer sur l’infrastructure de l’industrie cotonnière africaine, malgré la position de faiblesse de cette dernière au sein du marché mondial. De 15 à 20 millions de personnes survivent en Afrique de l’Ouest de leur production de coton face à une concurrence inégale des producteurs occidentaux. Il semblait bien, jusqu’à peu, que les cotonniers africains n’avaient d’autres solutions à terme que de jeter l’éponge en dépit de la qualité de leur fibre reconnue de tous. Mais tout n’est pas perdu. Montant dans le train des nouveaux débouchés des produits agricoles, des entrepreneurs africains tentent d’exporter l’huile de coton jusque-là réservée à la consommation locale.
Mamadou Zongo a parcouru pendant une dizaine années l’Europe pour y vendre des djembés, des petits bijoux artisanaux et autres menus objets africains. Rentré dans son pays, le Burkina Faso, avec son capital épargné, il a acquis en 2005 une petite usine de transformation de graines de coton en huile de table. En période de plein rendement il occupe 80 ouvriers. Son usine est semi-artisanale. Pour le moment il vend en gros son huile pour le marché domestique. Mais il ne désespère pas de trouver un embouteilleur, ici ou en Europe, lui ouvrant les marchés extérieurs, surtout que l’on commence à trouver dans quelques boutiques européennes, sous de luxueux emballages, des huiles exotiques parmi lesquelles l’huile de coton.
Si les Américains la consomment comme une huile banale, les Japonais l’apprécient depuis fort longtemps et l’offrent comme présent raffiné à l’occasion de diverses fêtes traditionnelles, alors que les Européens ne la connaissent quasiment pas, ne considérant que l’huile d’olive. Les urgentes nécessités énergétiques mondiales ont bouleversé certaines agricultures et leurs marchés. La Malaisie et l’Indonésie, les deux plus gros producteurs d’huile de palme, ont ainsi choisi de convertir une partie de leur production vers l’industrie du biocarburant, entraînant une hausse constante des prix de cette huile commune.
Les ménagères africaines se sont rabattues par conséquent sur l’huile de coton, de consommation récente en Afrique de l’Ouest (une trentaine d’années), moins chère et qu’elles préfèrent pour ses qualités culinaires. Les huiliers africains tentent de saisir cette opportunité pour rebondir vers le marché européen. Dévalorisée jusque récemment, la graine de coton occupe désormais une place enviable sur le marché mondial des oléagineux à telle enseigne que la petite usine de Mamadou Zongo est parfois à court de matière première. D’autant que l’huile de table ne serait pas l’unique débouché pour ces graines. Ainsi le gouvernement bukinabé a-t-il chargé la première industrie d’huile culinaire du pays, la société SN Citec, d’un projet pilote de recherche en biodiesel en vue de pallier le déficit d’énergie électrique du pays. Et, sans cesse à la recherche de produits nouveaux, l’industrie cosmétique étudie elle aussi les vertus encore secrètes de cette graine.
Reste que la matière première produite en Afrique, l’or blanc comme l’appellent les Africains, souffre d’un avenir incertain. Que les accords de commerce internationaux perpétuent l’avantage des productions de coton subventionné, comme c’est particulièrement le cas aux Etats-Unis, premier exportateur mondial, ou que l’Union Européenne abandonne les achats garantis aux producteurs africains et supprime les droits douaniers sur les importations, comme il en est question dans les négociations des accords de partenariat économique entre l’UE et les Etats africains, et de nombreux cotonniers africains seront voués, en tout cas ceux qui le pourront, à la reconversion. L’enjeu pour l’industrie cotonnière africaine est d’exploiter les diverses potentialités d’un composant jusque-là considéré comme secondaire, les graines oléagineuses, pour s’introduire sur de nouveaux marchés demandeurs, et de soutenir, voire réanimer une agriculture progressivement étranglée mais vitale pour des millions de paysans. Les Africains pourront-ils, eux aussi, bénéficier de l’aubaine que suppose la révolution agricole de ce XXIe siècle ?