Depuis le mois de mai, Eve Mosher, artiste peintre, dessine à la craie sur les trottoirs new-yorkais. Plus que des dessins, ce sont des lignes qu'elle trace, des lignes de démarcation.
Eve Mosher entoure les quartiers d'une ligne qui aurait été hier une frontière de science-fiction, et qui est devenue, avec la brusque prise de conscience des effets du réchauffement climatique, une limite envisageable : la ligne au-delà de laquelle les eaux ne monteront pas.
Samedi 14 et dimanche 15 juillet, elle a tracé la ligne de la montée des eaux de la 14e Rue au pont de Brooklyn. Les gens s'arrêtent pour lui demander ce qu'elle fait. Elle répond qu'elle essaie "d'utiliser l'art pour rendre visible le changement climatique".
La plupart des passants ont entendu parler du réchauffement. "C'est réconfortant, dit-elle. Mais ils sont surpris de voir que la ligne s'enfonce aussi loin." Eve Mosher a choisi le scénario le plus noir. Celui où les eaux monteraient de 3 mètres et inonderaient Manhattan tous les cinq ans et demi en moyenne. Les Américains commencent à visualiser les effets potentiels du réchauffement climatique.
C'est, d'une certaine manière, au même genre d'exercice que s'est livrée l'Union of Concerned Scientists. Dans une étude d'envergure, publiée le 12 juillet, cette association de chercheurs a montré ce qu'il adviendrait du Nord-Est, la région du pays qui compte à la fois une grande concentration de population et d'importantes ressources naturelles. Deux scénarios ont été explorés, l'un pessimiste, où l'homme ne changerait rien à ses habitudes, et l'autre optimiste, où le monde entreprendrait des efforts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Dans les deux scénarios, la température s'élèverait de plusieurs degrés d'ici à la fin du siècle, mais pas dans les mêmes proportions. Dans le cas de figure pessimiste, les températures moyennes hivernales gagneraient 4,5 à 6,5 0C et les étés de 6 à 14 0C, ce par rapport aux moyennes historiques. Dans le scénario optimiste, la température ne monterait que de 3 à 4,5 0C l'hiver et de 1,5 à 4 0C l'été.
Cet épais rapport est l'oeuvre d'une cinquantaine d'universitaires et de chercheurs dont certains travaillant pour des agences fédérales. Les travaux ont été dirigés par Peter Frumhoff, un des principaux auteurs du rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), créé en 1988, pour évaluer les risques de changements climatiques provoqués par l'homme.
L'étude de l'Union of Concerned Scientists s'efforce de traduire les chiffres de la climatologie en images concrètes. Des villes telles que Boston, Atlantic City ou New York connaîtraient des inondations fréquentes et catastrophiques. Les stations de ski, nombreuses dans l'Etat de New York, pourraient avoir à fermer leurs portes : de tout le Nord-Est, il n'en resterait que dans le Maine.
Le réchauffement induirait une "migration" vers le nord de certaines essences d'arbres, ce qui, par effet de cascade, modifierait la faune et notamment la faune aviaire. Ainsi, le loriot disparaîtrait des environs de Baltimore. Il s'agit d'un exemple de nature à frapper les esprits car cet oiseau est l'emblème de l'équipe locale de base-ball. Autre exemple d'une longue liste : trente jours par an, Philadelphie pourrait connaître des températures supérieures à 38 0C.
Certains des changements sont déjà inévitables parce que les gaz à effet de serre, en augmentation depuis le début de la révolution industrielle, se conservent longtemps dans l'atmosphère.
Mais selon les déclarations de Peter Frumhoff au Washington Post, "les conséquences les pires peuvent être évitées si nous agissons vite". |