Le pétrole est cher. Le pétrole est rare. lI va faloir apprendre à s'en passer. Illustration par un récit de science-fiction redevable pour la fiction à l’imagination d’Éric Le Braz (rdc de Newzy) et pour la science aux recherches sur les énergies, les transports et les technologies du futur.
Écrit par Eric Le Braz, rédacteur en chef de newzy , le 06-08-2007 | |
À l’unisson de la demi-douzaine de collaborateurs, virtuellement réunis dans son bureau, Théo Morel, leva son verre de coteaux d’Argenteuil, la nouvelle AOC à la mode. Ce 12 mai 2050, il fêtait ses 44 ans. Elle s’adapte même à la Provence gagnée par la savane, les longues saisons sèches et les brusques tempêtes tropicales… Clic. Théo siffla la fin de la démo. Toute l’équipe se retrouva à nouveau dans son bureau virtuel de la tour BDF (Bois de France). Depuis qu’il était devenu manager des approvisionnements de BDF, Théo Morel ne se lassait pas des visioconfs’ à réalité augmentée. Aujourd’hui, tout le quartier d’affaires était planté de gratte-ciel hypergreen, ces cônes à énergies positives avec des dégaines d’échafaudages, striés de résines pare-soleil et coiffés d’éoliennes. La vallée était alors le plus gros gisement de peupliers nains, ces foutus arbres dopés par l’augmentation de CO2 dans l’air et qu’on taille tous les deux ans avec des rendements du tonnerre. Et les sylviculteurs de la Dombe comme de la Bresse étaient devenus des rois du pétrole, gorgés de palu mais pleins aux as. Les peupliers comme les moustiques aiment les zones humides et il en restait peu dans la France sèche du XXIe siècle. Leur relation ambiguë et clandestine de client à fournisseur ne s’officialisa que lorsqu’il prit du galon pour devenir chef de zone en Champicardie, le Texas européen. Dès cette époque, le quart des surfaces cultivables du pays, le tiers des zones rurales en comptant les forêts, était dévolu aux biocarburants : son, paille, humus, bois, miscanthus. Après avoir nourri le monde, les agriculteurs le faisaient rouler. Tous les pays avaient suivi la même voie et les guerres du pétrole s’éteignirent comme un terril asséché les unes après les autres. Le monde semblait enfin en paix avec lui-même. Théo avait donc grandi dans une planète en guerre contre le temps… dans tous les sens du terme. Le protocole de Kyoto fut enrichi du Tuvalu Round en 2013, en mémoire de cet archipel du Pacifique, premier État englouti sous la montée des eaux la même année. Depuis, chaque Terrien vivait avec un compte à rebours dans la tête : comment réduire les émissions de gaz à effet de serre par deux sur Terre (et par quatre en Europe) avant 2050. Et les Terriens avaient atteint leur objectif. Avec un an d’avance. Il était temps. Mais on avait eu chaud et on n’avait pas fini de transpirer. Théo bifurqua vers la gare de Mâcon-TGV et s’arrêta chez Rent a Vintage, le leader des loueurs d’occase. Les rayons du soleil qui tapaient déjà un bon 37 degrés C° étaient adoucis par le mur rideau à ossature bois du bâtiment du loueur. Le propriétaire n’avait pourtant rien d’un écolo comme on disait au début du siècle. C’était même un fou de bagnoles qui avait transformé son hangar en musée de l’auto : il y avait la voiture à air comprimé de MDI, une BlueCat, la pittoresque automobile électrique de Bolloré qui réussit un temps à concurrencer les biocarburants avant que les véhicules à hydrogène ne reprennent le rôle de challenger vers 2040… et même une vieille C4 HDI hybride, l’auto de l’enfance de Théo, un monstre qui consommait du 3 litres au cent, et émettait 90 grammes de CO2 au kilomètre. Il paraît que c’était un record en 2010. Vingt minutes plus tard, précédant la vieille Toyota en pilotage automatique, Théo arriva à la Roche de Solutré. C’est au pied de ce haut lieu préhistorique, narguant l’historique vignoble carbonisé de Pouilly-Fuissé que s’étaient installés ces décroissants qui faisaient si peur au loueur de vintages. Le mouvement, né au début du siècle, avait progressivement pris de l’ampleur au fil des catastrophes naturelles qui émaillèrent les cinquante dernières années. Particulièrement vigoureux en Allemagne où les « nicht mehr licht » venaient de remporter les élections, officialisant ainsi la décroissance naturelle de ce pays de vieux, ils avaient mué différemment en France. Regroupés en villages autarciques, refusant la plupart des technologies, les décroissants contrôlaient de vastes portions du territoire, véritables zones de non-économie, où même le troc était suspect et où seul le don était gratifié. C’était le 13 avril 2043 que les Américains surnommèrent plus tard le 11 septembre climatique. Cette date fut aussi un désastre pour le couple. Théo refusa de suivre Chloé chez les anorexiques de la conso... et un petit juge vert lui retira la garde de son fils. Mais aujourd’hui, il venait le reprendre. Pour quinze jours, c’était son tour. « – Et vous ne désossez pas les radios ? fit Théo. Leurs cabanes végétalisées avec une charpente de bouteilles en plastique fourrées côtoyaient de magnifiques maisons en paille et tôle. C’est d’ailleurs de l’une d’entre elles que sortit Achille pour se précipiter dans ses bras… Et 20 minutes plus tard, il comprit qu’il devrait vraiment planter une forêt pour compenser ce qu’il allait commettre. Plus bas, on distinguait déjà les vagues lécher la robe de Miss Liberty. Mais Wall Street qui suit le chantier au jour le jour n’a pas changé d’adresse et monte plus vite que le niveau de la mer. »
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Écrit par Eric Le Braz , le 08-08-2007 | |||
La nouvelle "Un jour dans une France sans pétrole" est basée sur de nombreuses sources. Que voici. ça va chauffer ! La journée de Théo Morel est basée sur des scénarios optimistes concernant notre avenir énergétique. Les simulations climatiques sont plus pessimistes car elles s’inspirent des dernières études alarmantes publiées par la revue « Science », qui pronostiquent une accélération de la fonte des glaces et une hausse du niveau de la mer de plusieurs mètres. Un scénario renforcé par l’effet albédo (la banquise absorbe douze fois plus de chaleur que l’eau qui la remplace) et le fait que le réchauffement diminue la capacité d’absorption de carbones par les végétaux. Ainsi pendant la canicule de 2003, les arbres ont dégagé du CO2 au lieu d’en éliminer ! Il faudra planter Le contexte de cette journée est en grande partie inspirée par le rapport « Prospective Transports 2050 » du Conseil général des ponts et chaussées. Il élabore quatre scénarios pour 2050 dont deux laissent une large place aux énergies issues de la biomasse (jusqu’à 50 % de nos ressources énergétiques). D’autres sources ont permis de nuancer cette hypothèse et en premier lieu l’édition du rapport 2006 de l’institut World Watch sur l’état de la planète qui comprend une étude complète sur le thème « Cultiver des alternatives renouvelables
au pétrole » (www.delaplanete.org). Notre récit s’inspire également d’autres sources, interviews et études . Les voici par ordre d’apparition dans l’histoire.
Bureau virtuel
Les visioconférences se substituent déjà à de nombreux voyages d’affaires. En France, selon la société Genesys, les web conférences progressent de 34 % chaque année. Pour voir combien de temps, de CO2 et d’argent on économise par visioconférence, allez faire une simulation sur www.genesys.com/save. La visio-conf’ à réalité augmentée (superposition d’une image virtuelle sur une image réelle) sera certainement banale en 2050. Les premiers écrans à réalité augmentée de la société Total Immersion sont déjà visibles au Futuroscope et en seront l’attraction majeure de 2007. www.t-immersion.com Hydrogène mobile
Les « clip-ons » d’Air Liquide existent déjà à l’état de proto. Air Liquide coordonne le programme européen Hychain pour développer ces cartouches « à clipper » sur 158 véhicules en Europe dès 2007. Le concept est révolutionnaire puisqu’il s’agit d’une recharge portable, comme une bouteille de Butagaz. « Avec l’hydrogène, on multiplie par trois l’autonomie des véhicules électriques et on baisse leur poids de 25 % », estime Bernard Cledos à la direction de la communication scientifique d’Air Liquide. Total a déjà ouvert une station-service d’hydrogène à Berlin. Elle fournira les bus pendant la Coupe du monde. Sobres Attitudes Tous les objets du village des décroissants sont tirés du catalogue de l’exposition du Centre Pompidou « D-day, le design aujourd’hui ». Rails & Air
Les prévisions (souvent très contradictoires) concernant les transports aériens et ferrovières proviennent d’entretiens avec Thierry Vexiau, chargé de mission au ministère des Transports, Gilles Bordes-Pagès, directeur du développement d’Air France, et Marc Noyelle, dg adjoint d’ADP. Quotas La mise en place de cartes de rationnement et de quotas de consommation individuels n’est pas qu’une lubie de décroissant. Eliott Morley, ministre de l’Environnement britannique, prend cette mesure très au sérieux. Au pays de l’or vert Alain Jeanroy, dg de la confédération des planteurs de betteraves, a inspiré la vision d’une France productrice de bio-carburants. Vincent Steinmetz, délégué général Europol’Agro à Reims, estime qu’après le stade des biocarburants comestibles (betterave, colza), « on pourra faire des carburants avec les parties non utilisées dans les usages alimentaires.» Même raisonnement chez Bernard Seguin, responsable de la mission « Changement climatique et effet de serre » (MICCES) à l’INRA qui prévient cependant que ces projections sont suspendues à l’évolution des réserves d’eau. Tous deux prédisent un bel avenir au miscanthus, la fameuse herbe à éléphants. Les voitures du futur La voiture à air comprimé de Guy Nègre est visible sur www.mdi.lu. Quant aux « Blue Cars » de Bolloré, les six premiers modèles atteignent une vitesse de pointe de 125 km/h avec une autonomie de 200 km. La décroissance Les adeptes de ce mouvement croissant considèrent qu’il ne faut pas seulement « partager le gâteau, mais changer la recette » et préconisent une société avec « plus de liens et moins de biens ». Leur programme ?? Lisez l’édifiant « Décroissance ou barbarie » de Paul Ariès (éd. Golias).
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