Après des débuts marqués par la volatilité, le marché du CO 2 suscite bien des interrogations. Mark Lewis, analyste chez Deutsche Bank, est le premier à proposer un modèle à long terme et estime que la tonne de CO2 devrait rapidement grimper vers les 35 euros.
On tombe dans le CO2 comme Obélix dans la potion magique. La nouvelle matière première a tendance à déclencher accoutumance et détermination. Pour Mark Lewis, le Monsieur CO2 de la Deutsche Bank, le baptême a eu lieu début 2005, alors que le marché du dioxyde de carbone balbutiait. Lui répondait aux angoisses des investissseurs, chez l'électricien E.On. Devenu entre-temps analyste CO2, il se consacre désormais à porter la bonne parole sur les cinq continents : le prix de la tonne de CO2 est voué à grimper ! Pour l'analyste, c'est une conviction. " La prise de conscience sur le réchauffement climatique n'a jamais été aussi forte, nous entrons dans une nouvelle ère : celui de la révolution industrielle est derrière nous ", promet-il. Arguments à l'appui : l'Europe a un avantage par rapport aux autres grandes puissances, parce que certaines décisions de long terme sont prises par des technocrates, à la Commission, qui ne subissent pas la pression des élections. La seule façon, selon lui, de pouvoir imposer au public la prise en compte du futur que demande le changement climatique.
L'UE A UNE LONGUEUR D'AVANCE
Moqué par certains tant il semble irréalisable, l'engagement de l'Union européenne de réduire ses émissions de CO2 de 20 % d'ici à 2020 exprime au contraire une longueur d'avance pour Mark Lewis. C'est d'ailleurs en partant de ce chiffre qu'il vient de construire le premier modèle du marché des quotas européens pour l'après-2012, après une lecture minutieuse de la réglementation sur le sujet. Les textes sont formels : contrairement aux quotas de CO2 actuels, dont le cours est tombé à quelques centimes d'euro parce qu'ils seront inutilisables après avril 2008, les quotas de la seconde période (2008-2012) pourront être utilisés jusqu'en 2020. Or cette possibilité de thésaurisation ou " banking " des quotas nivellera nécessairement le prix des quotas sur toute la période 2008-2020. Rationnel, l'industriel préférera en effet vendre dès 2008 son éventuel surplus, s'il sait que les prix sont orientés à la baisse. Il le conservera au contraire s'il pense que le quota va se faire rare.
Reste une inconnue, et de taille : le nombre de quotas qui seront alloués après 2012 - si le système des quotas perdure. Peu pressés d'effectuer de lourds investissements, de nombreux industriels prétendent d'ailleurs qu'il n'y a aucune visibilité sur le CO2, parce que les règles ne sont pas encore fixées pour l'après-2012. " C'est faux, on a de la visibilité au contraire ! " s'exclame l'analyste. Selon ses calculs, l'objectif de réduction de 20 % des émissions de dioxyde de carbone d'ici à 2020, représente une réduction annuelle de 549 millions de tonnes de CO2. Les trois quarts de cet effort devraient être transférés aux entreprises, ce qui représente 17 % de quotas en moins par rapport à 2008 et 2012. D'où un effet rareté, qui devrait tirer le prix du CO2 vers les 35 euros après 2012... mais aussi à partir de 2008 puisque les quotas 2008 pourront être utilisés jusqu'en 2020.
Or ce niveau de prix, nettement supérieur aux projections actuelles puisque la tonne de CO2 s'échange autour de 20 euros pour 2008, a une implication concrète forte. Plutôt que d'acheter 35 euros une tonne de CO2 pour compenser leurs émissions, les industriels auront tout intérêt à trouver un moyen moins coûteux de gérer la contrainte carbone. Par exemple en enfouissant leur gaz sous terre. Selon les estimations de l'analyste, qui s'appuie sur le projet de captage et de stockage de l'électricien RWE en Allemagne, le coût d'une telle aventure devrait être légèrement inférieur à 35 euros par tonne de CO2 éliminée.
D'autres estimations font ressortir une addition nettement plus salée, mais qu'importe. Le fait que la seule technique aujourd'hui connue pour éliminer notre empreinte carbone ne soit pas disponible à moins de 35 à 50 euros plaide en faveur d'une forte hausse de la tonne de CO2.
CHOISIR LE BON COMBUSTIBLE
Autre corollaire d'un prix du CO2 élevé : l'arbitrage des industriels en matière de combustibles est appelé à évoluer. " Construire aujourd'hui une nouvelle centrale à charbon en Europe, c'est un mauvais investissement ", s'insurge Marc Lewis. Avec une tonne de CO2 à 35 euros, le coût de l'utilisation du combustible le plus émetteur de CO2 deviendra supérieur à celui du gaz. Ce qui bénéficiera aux nouveaux entrants sur le marché de l'électricité, comme Gazprom, en train de construire une centrale importante en Allemagne, alors que les acteurs historiques de l'électricité regardent le train passer en brûlant du charbon.
Parcours
Analyste crédit chez Standard & Poor's dans les années 90, ce Britannique s'est construit des attaches parisiennes en devenant analyste financier pour la Deutsche Bank en 1999, sur le secteur des " utilities " françaises et allemandes. Après un bref passage chez E.ON, il retourne à la Deutsche Bank pour s'investir sur le sujet de CO2 au sein de l'équipe matières premières.
ALINE ROBERT