Après deux jours de marche dans la campagne zimbabwéenne, Peter Nkomo et sa famille, poussés par la faim, ont encore dû traverser un fleuve infesté de crocodiles et ramper sous des fils de fer barbelé avant d'atteindre leur but: l'Afrique du Sud.
"Quand la faim et la pauvreté vous regardent droit dans les yeux, votre instinct de survie vous commande de fuir le Zimbabwe", explique Peter Nkomo, 32 ans, en transit dans la ville frontalière de Musina.
"Pendant ces deux jours, je n'ai pensé qu'à une seule chose: mon espoir d'entamer une nouvelle vie en Afrique du Sud."
Avec 80% de la population en dessous du seuil de pauvreté, des milliers de Zimbabwéens tentent chaque jour de passer la frontière pour rejoindre leurs deux millions de compatriotes déjà installés chez le voisin sud-africain.
Mais leurs espoirs de vie meilleure sont parfois déçus, la vie pouvant s'avérer tout aussi cruelle et dangereuse de l'autre côté du fleuve Limpopo.
Peter Nkomo a fait le voyage avec sa femme et leur bébé de quatre mois. Ils n'ont rien emporté avec eux et se retrouvent désormais sans argent, ni nourriture. Et le petit a développé une infection oculaire que la température extérieure -- 27° -- aggrave d'heure en heure.
Visiblement exténué, le père de famille raconte que le plus difficile a été la traversée de nuit du fleuve.
"Et encore, ils ont de la chance, parce que le Limpopo est quasiment à sec en ce moment. Sans quoi, ces Zimbabwéens se feraient manger par les crocodiles", souligne Abram Luruli, chef des services administratifs à la mairie de Musina.
Depuis quelques mois, cette tranquille municipalité frontalière assiste à l'arrivée massive de réfugiés. Les Zimbabwéens sont visibles partout dans la ville mais aussi le long de la route qui mène au pont Beit Bridge, poste-frontière entre les deux pays.
Japhet Mashuga vient de passer le pont et parcourt à pied les dix kilomètres jusqu'à Musina. "C'était une question de vie ou de mort", dit-il à l'AFP. "Peu importent les risques encourus. Le désespoir d'un homme affamé ne connaît pas de limite."
Le Zimbabwe s'enfonce depuis huit ans dans une récession économique caractérisée par d'importantes pénuries et l'inflation la plus élevée du monde, dont l'emballement fait valser les prix.
En juin, pour tenter de contrôler leur folle envolée, le gouvernement a ordonné de diviser les prix par deux et de les geler. Mais ce niveau arbitraire ne permet plus de couvrir les coûts de production. Les entreprises stoppent leurs activités, aggravant les pénuries.
Le programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) a estimé mardi indispensable de multiplier par dix son assistance alimentaire au Zimbabwe, pour éviter une famine de grande ampleur.
De nombreux Zimbabwéens réussissent encore à s'approvisionner en venant faire leurs achats en Afrique du Sud.
Comme Ophadube Davies, 58 ans, qui fait souvent l'aller-et-retour pour nourrir son mari, ses six enfants et les 10 petits-enfants dont elle a la charge depuis que leurs parents sont morts du Sida. Elle n'a pas de visa mais profite de l'affluence pour se glisser de l'autre côté.
"Hier, j'ai réussi à aller faire mes courses à Musina pour nourrir mes enfants et en revendre une partie. Mais aujourd'hui, des hommes de la sécurité m'ont empêchée de passer la frontière. J'ai envie de mourir," dit-elle, désespérée.
Du côté sud-africain, un responsable de l'immigration confie sous couvert d'anonymat avoir "pitié des Zimbabwéens". Mais, ajoute-t-il, "on ne peut pas les laisser entrer illégalement dans notre pays".