L’Ontario pourrait devenir un précurseur. Outre la société américaine Optisolar, deux autres entreprises, Skypower et SunEdison, ont déjà décidé de s’installer dans la province de l'Ontario pour y produire de l’énergie solaire.
Par Emmanuelle Langlois
Imaginez des champs, non pas de maïs ou de blé mais de panneaux solaires, s’étalant à perte de vue. Une vision quasi-futuriste que découvriront bientôt les 90 000 habitants de Sarnia, ville posée sur la rive Nord du Lac Huron, dans le sud-ouest ontarien.
Cette région, connue sous le nom de «vallée chimique», accueille la plus vaste concentration d’installations chimiques et manufacturières du Canada et elle est considérée comme l’une des plus polluées du pays. Mais grâce aux volontés combinées d’un gouvernement provincial désireux d’entreprendre un virage vert, d’une administration locale impatiente de casser son image de zone surpolluée et d’une entreprise californienne spécialisée dans le solaire, le réseau électrique de la province comptera, en 2008, 14 nouveaux projets d’énergie renouvelable, parmi lesquels la plus grande ferme solaire d’Amérique du Nord, à Sarnia.
L’Allemagne, qui a jusqu’ici le plus grand parc d’énergie solaire au monde avec sa station d’Erlasee (Bavière), qui produit 12 mégawatts (MW), risque donc être détrônée par l’Ontario. D’ici à 2010, plus d’un million de panneaux solaires recouverts de cellules photovoltaïques (elles emmagasinent l’énergie provenant des rayons solaires et la transforment en électricité) seront posés à quelques mètres au-dessus du sol sur une surface de 320 hectares, l’équivalent de 492 terrains de foot. Ils produiront 40 kW et alimenteront en électricité 6 000 foyers. Un projet évalué à près de 300 millions de dollars canadiens (200 millions d’euros). «Cette ferme solaire fait partie d’un projet plus vaste, le Programme d’offre standard, destiné à promouvoir sur vingt ans l’exploitation de petites sociétés de production d’électricité renouvelable en Ontario, précise Sylvia Kovesfalvi, porte-parole du Ministère de l’énergie. Nous nous sommes fixé un objectif de production de 15 700 kW d’ici à 2025, lesquels pourront alimenter près de 5,5 millions de foyers.» Le programme d’offre standard en matière d’énergie renouvelable est à ce titre le plus important du genre en Amérique du Nord.
Incitations. Benoît Marsan, chercheur au département de Chimie de l’université du Québec à Montréal, considère que les incitations du gouvernement ontarien pour le développement de l’énergie solaire devraient facilement convaincre des petites entreprises ou des particuliers de se lancer sur ce marché. Les Autorités ontariennes de l’électricité ont en effet accepté d’acheter et de remettre dans le réseau électrique public tous les kilowatts «verts» qui seront produits sur le territoire de la province. «Chaque producteur d’énergie solaire peut désormais la revendre moyennant 42 cents le kilowatt heure, c’est quatre fois plus que pour l’énergie éolienne, précise le chercheur. La production d’énergie solaire coûte très cher et constitue un frein à son développement. En acceptant d’en indemniser de façon conséquente les producteurs, l’Ontario crée un stimulant et se place à l’avant-garde ; même si le Québec dont la plus grande partie de l’électricité provient de l’hydroélectricité, demeure le chef de file des énergies renouvelables.»
Peter Carrie, d’OptiSolar Farms Canada Inc., subdivision de la société californienne OptiSolar, reconnaît d’ailleurs que ce sont ces 42 cents offerts qui ont incité son entreprise à s’installer à Sarnia. «Personne d’autre n’offre un tel rendement en Amérique du Nord. Seuls les Européens semblent partager cette approche, lance-t-il. Ce qui explique d’ailleurs que l’Allemagne, leader dans ce domaine, ait installé sept fois plus de panneaux solaires que les Etats-Unis en 2006.»
Précurseur. Pour Dave Martin, responsable du secteur énergie chez Greenpeace Canada, si l’énergie solaire est tellement populaire en Allemagne, c’est parce que chaque kilowatt produit rapporte 80 cents, deux fois plus que ce que propose le gouvernement ontarien. «Tout réside dans cette question pécuniaire , constate-t-il. Si l’indemnisation de chaque kilowatt heure solaire […] n’est pas augmentée, alors nous courrons à l’échec.» Il en veut pour preuve que, depuis l’annonce de la mise en place du programme, seuls 36 contrats ont été signés. Produire un kilowatt solaire coûte une dizaine de dollars, contre 1,5 dollar lorsqu’il s’agit d’énergie non renouvelable, comme le pétrole. «Pour être viable économiquement, les fermes solaires doivent produire à moindre coût. La cible c’est un dollar du watt, précise Benoît Marsan. C’est à ce niveau que ce situe aujourd’hui le plus grand défi. Nous devons donc nous atteler à développer de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies moins onéreux.»
Dans ces conditions, l’Ontario pourrait devenir un précurseur. Outre la société américaine Optisolar, deux autres entreprises, Skypower et SunEdison, ont déjà décidé de s’installer dans la province pour y produire de l’énergie solaire. «Au total, près de 200 kW d’énergie renouvelable - solaire, éolienne et hydroélectrique - seront produits au cours des prochaines années, souligne Dave Martin. C’est un bon début mais cela demeure encore trop peu. Les centrales nucléaires ontariennes ne pourront pas être fermées avant plusieurs années. Leur entretien et la construction de nouvelles centrales vont coûter plus de 40 milliards de dollars canadiens. Une fortune. Il est donc impératif de tout faire pour favoriser la multiplication des petits producteurs d’énergie renouvelable.»
Vue. À ceux qui s’inquiètent de voir pousser d’immenses champs aux reflets argentés pas toujours saillants, Peter Carrie rétorque que l’immensité canadienne devrait permettre l’implantation de milliers d’hectares de panneaux solaires sans obstruer la vue. «À Sarnia, les installations se trouveront à la frontière entre les zones industrielles et les zones périphériques et nous avons prévus de hisser des barrières naturelles d’arbres pour que les quelques maisons qui bordent ces terrains ne soient pas gênées», rassure-t-il.
Reste que cette seule opération ne permettra pas au Canada de se hisser en tête du classement des pays les plus verts. À l’heure actuelle, seul 0,1 % de l’électricité canadienne provient du soleil, contre 38 % issu du charbon, 17 % du nucléaire, 15 % du gaz naturel et 9 % du pétrole.