Des paroles : «Sous notre gouvernement, les pauvres seront traités comme des êtres humains.» Et de l’argent : 2,6 milliards d’euros. Samedi dernier, le président brésilien a lancé un chantier ambitieux. L’urbanisation et l’assainissement des eaux des favelas, les bidonvilles de la capitale Brasília et de douze autres régions.
Par Chantal Rayes
Le mois dernier, le leader de gauche, Lula, réélu en octobre à la tête du Brésil, avait déjà annoncé le programme dans les Etats les plus peuplés du pays : le Nordeste pauvre, São Paulo, le Minas Gerais et Rio de Janeiro. «Nous allons apporter de l’asphalte, de la lumière, des espaces de détente, pour alléger les souffrances de millions de Brésiliens», a déclaré le Président en lançant le projet.
Mortalité infantile. Au moins 12,4 millions de Brésiliens vivent dans des favelas, en périphérie des grandes villes. Rio compte à lui seul 752 favelas où vivent 1,5 million d’habitants, soit 20 % de la population de la ville. L’assainissement des eaux y est une priorité en raison de son impact sur l’environnement et la santé, en particulier sur la mortalité infantile. «La couverture de ce service public est encore précaire, y compris dans des régions aisées, explique à Libération Márcio Fortes, le ministre de la Ville, qui pilote le projet. Seuls 53 % des domiciles brésiliens sont raccordés au réseau de collecte d’égout. Ce taux tombe à 35 % si on compte les foyers qui bénéficient également du réseau de traitement des eaux usées. Nous allons étendre ces services à toute la population, en donnant la priorité aux favelas. Nous allons également dépolluer les bassins hydrographiques dans lesquels les égouts sont déversés et généraliser l’accès à l’eau courante et potable, qui parvient aujourd’hui à plus de 83 % des foyers.»
Autres travaux prévus dans les favelas, selon le ministre : l’extension du réseau électrique, l’ouverture de rues et des travaux d’amélioration de l’habitat précaire. Priorité : reloger les populations pauvres qui occupent les «zones à risques», sujettes aux inondations ou aux éboulements de terrains. Mais aussi répondre au défi du logement. Selon une étude de la Fondation Getulio-Vargas, il manque 7,8 millions d’habitations au Brésil. Le gouvernement entreprend de démocratiser l’accès au crédit immobilier. «Les banques publiques commencent à accorder des crédits aux familles qui gagnent entre trois et cinq fois le salaire minimum mais pas aux plus pauvres parmi les pauvres, qui ont le plus besoin de logement mais aucune garantie à offrir», note Orlando Santos Junior, professeur d’urbanisme et l’un des coordinateurs du Forum national pour la réforme urbaine, un réseau d’ONG.
Lula a donné la priorité aux grandes agglomérations urbaines, où les problèmes de logement et de violence sont les plus aigus : «Avec l’urbanisation des favelas et l’assainissement, viendront les écoles et les aires de loisirs, et la sécurité publique s’en trouvera améliorée.» A Rio, Lula est allé plus loin : «Si l’Etat ne remplit pas son rôle, le crime organisé le fera», allusion aux narcotrafiquants qui contrôlent les favelas de la ville.
Ces investissements font partie du Programme d’accélération de la croissance (PAC), un ensemble de grands travaux lancé en janvier. Il sera financé par les recettes de l’Etat et des emprunts auprès des banques publiques et privées. Jusqu’à la fin de son mandat, en 2010, Lula a prévu d’injecter plus de 15 milliards d’euros pour l’assainissement des eaux et l’urbanisation des favelas. Et plus de 40 milliards dans le logement. C’est respectivement plus du triple et du double des fonds alloués à ces secteurs lors de sa première présidence, durant laquelle il avait durci l’orthodoxie économique héritée de son prédécesseur pour calmer les marchés financiers, effrayés par l’arrivée de la gauche au pouvoir. Entre-temps, Lula a également retiré le ministère de la Ville à son Parti des travailleurs pour le confier à la droite, à laquelle appartient Márcio Fortes, en échange de son soutien au Parlement. Ce qui fait craindre à certains, dont Orlando Santos Junior, «un virage conservateur dans la politique urbaine».
Clientélisme. «Le PAC est une avancée pour les favelas, reconnaît-il. Mais la société civile n’a pas de contrôle sur l’allocation de l’argent, qui risque d’être soumise au clientélisme des élites politiques traditionnelles. Par ailleurs, dans nos villes marquées par la ségrégation spatiale du pauvre, il faut permettre aussi à ce dernier d’habiter les zones centrales.» Et non pas le confiner dans des favelas, même améliorées.