Elle déteste le transport aérien et vitupère les aéroports, "grands contributeurs au changement climatique, un problème qui transcende tous les autres". C'est pourquoi Isabelle Michel s'est installée dans un "camp pour l'action climatique" situé aux abords des pistes de l'aéroport londonien d'Heathrow. Marc Roche
En compagnie de plusieurs centaines de militants écologistes, cette Française, professeur de communication à Londres, squatte un terrain appartenant à l'Imperial College. C'est sur ce champ qu'une troisième piste devrait voir le jour à l'horizon 2015.
A première vue, l'orchestre de musiciens en uniformes de pilotes et d'hôtesses de l'air de British Airways jouant devant un avion en carton pâte fait plutôt penser à un camp de vacances. Mais les jeunes militants écologistes sont à des années-lumière de la moindre fantaisie. Jusqu'à 2 000 policiers devaient être mobilisés, dimanche 19 août, pour les empêcher de bloquer l'accès aux quatre aérogares lors d'une journée d'action directe de vingt-quatre heures.
La presse populaire a évoqué des opérations illégales, comme le déclenchement de fausses alertes à la bombe ou le blocage des pistes ou de l'autoroute M4. Là, le regard bleu d'Isabelle devient sévère : "Notre action sera pacifique et ne mettra pas en danger la sécurité des passagers."
"Bonjour, messieurs-dames" : la police est bien plus courtoise avec ces manifestants qu'avec les "travellers", ces jeunes paumés qui sillonnent les routes à bord de véhicules de fortune. L'origine sociale plus bourgeoise - beaucoup de diplômés universitaires -, la popularité de leur cause et surtout l'énorme présence médiatique imposent une certaine retenue. Toutefois, en douce, Scotland Yard a tout fait pour leur compliquer la tâche. Des barrages filtrants ont interdit l'accès du terrain à leurs véhicules. Ils ont été filmés pour tenter de reconnaître d'éventuels casseurs. Des "indics" auraient été recrutés.
Le harcèlement des forces de l'ordre et les éditoriaux au vitriol des médias de droite ont rendu les occupants du site méfiants envers les visiteurs, qui ne sont autorisés qu'au compte-gouttes par le service d'ordre. La peur et l'insécurité semblent être une seconde nature même chez ces "alters" très comme il faut.
Le rassemblement de Sipson se veut un lieu d'expérimentation écologique, social et culturel. Le camp est divisé en sections représentant différentes régions britanniques. Les allées sont clairement délimitées, et des plaques de contreplaqué disposées sur le sol évitent de patauger dans la gadoue. Chaque quartier dispose de ses propres cuisines préparant des repas végétaliens, c'est-à-dire ne comprenant pas la moindre substance animale. L'utilisation d'éoliennes et de panneaux solaires, de toilettes sèches et de fours montés dans des bidons d'huile est destinée à promouvoir un mode de vie durable.
TERMINAUX SATURÉS
Les chiens sont tenus en laisse. Les enfants sont encadrés par des adultes. La donation suggérée pour s'inscrire à ce squat sweet home est de 15 livres pour la durée du séjour, de 4 livres pour deux repas par jour.
"Débattre du lien entre l'aviation et le réchauffement climatique est important. Mais les passagers qui utilisent Heathrow pendant la durée du camp ont le droit de voyager sans être harcelés ou intimidés" : BAA, opérateur du troisième aéroport du monde pour sa fréquentation, se serait bien passé de ces perturbations au plus haut de la saison touristique. Son argumentation est simple : complètement saturés, les terminaux londoniens ne suffisent plus, d'où la nécessité, reconnue dans le Livre blanc de 2006, d'une nouvelle piste. Après tout, Francfort a trois pistes, Paris CDG quatre et Amsterdam cinq.
Sipson devrait être rasé par les bulldozers. Le comité de résidents de ce village tranquille du Middlesex a apporté son aide aux écologistes. A l'entrée du site, une habitante de longue date est couchée dans un cercueil portant l'inscription : "Que Sipson repose en paix."