Lacs à sec, récoltes brûlées par le soleil: la sécheresse qui frappe l'ouest de la Turquie depuis 10 mois fait le malheur des agriculteurs et menace la consommation d'eau des grandes villes.
Depuis le mois d'octobre, les pluies n'ont atteint dans la région de la mer de Marmara (nord-ouest) que 394 mm, soit 34% de moins que la normale, et sont restées à 355 mm dans la région égéenne (ouest), soit un déficit de 43%. Du jamais vu depuis plusieurs décénnies, selon la météorologie nationale.
"J'ai 62 ans, et je ne me rappelle pas avoir connu une telle sécheresse de toute ma vie: il n'a quasiment pas plu depuis octobre!", confirme Abdulkerim Aksu, un paysan de Yeniçiftlik, village de 2.000 habitants en Thrace orientale, ce petit bout de Turquie coincé aux confins du continent européen.
Le petit homme vient, comme chaque matin depuis plusieurs mois, de remplir sa petite remorque-citerne au barrage, à dix kilomètres de là, et arrose son potager.
S'il a pu sauver ses pastèques et ses poivrons, le paysan n'a pu offrir à ses champs de blé et de tournesols, trop vastes, le même régime de faveur.
"Nous avons dû récolter le blé le mois dernier, alors qu'il n'était pas encore à terme, pour éviter qu'il déssèche. Résultat: le rendement est en baisse de 50%", explique-t-il. "Et les tournesols, vous n'avez qu'à regarder: ils sont secs comme des triques, les feuilles ne sont même pas sorties".
"Pour le tournesol, c'est presque entièrement fichu", déclare Osman Alkan, 60 ans. "Si ça continue, je n'ai aucune idée de ce qu'on va faire. Comme il y a pas mal de vieux, j'imagine qu'ils essaieront de vivoter avec leurs retraites".
A l'échelle nationale, la sécheresse, qui frappe aussi significativement, mais de manière plus habituelle les steppes d'Anatolie centrale (293 mm, -22%), est responsable d'une chute de 10 à 15% de la production de blé, selon un rapport de l'Union des chambres d'agriculture de Turquie.
En Egée, les productions de coton, de maïs et de tabac ont décliné de 30%, celle des figues de 40 à 50%, indique le document.
Sont également gravement touchés les réservoirs d'eau chargé d'assurer l'approvisionnement des villes.
A Istanbul, métropole de plus de douze millions d'habitants, le taux de remplissage des lacs artificiels avoisinnants n'atteignait mardi que 26,4%, soit 230 millions de mètres cubes d'eau, selon les données de la régie des eaux municipale, et les premières coupures d'eau sont apparues la semaine dernière.
Ankara et ses 3,9 millions d'habitants disposaient pour leur part au 31 juillet de 170 millions/m3 de réserves d'eau, soit un taux de remplissage d'environ 5%, selon le maire de la ville Melih Gökçek. Le taux est depuis tombé à 4%, selon les médias.
La municipalité a divisé la ville en deux parties soumises en alternance à des coupures d'eau de deux ou trois jours. Elle a également lancé des travaux pour amener l'eau du fleuve Kizilirmak (nord-est) vers Ankara d'ici cinq mois.
La Turquie n'est pas pour autant tirée d'affaire: la météorologie nationale annonce un mois d'août aussi sec que les précédents, puis une "faible probabilité que les pluies automnales mettent un terme à la sécheresse dans l'Ouest et le Centre".
Dotée d'un climat semi-aride, "la Turquie doit apprendre à vivre avec le risque de sécheresse comme elle a appris à le faire avec le risque de séisme", concluent austèrement les météorologues, faisant référence aux fréquents tremblements de terre frappant le pays traversé par plusieurs failles sismiques actives.