Les questions d’environnement n’étant pas limitées au territoire français, il serait cependant utile de resituer ces initiatives dans le cadre des accords internationaux et des décisions communautaires, qui déterminent, plus que le contexte national, les décisions relatives à l’environnement. Peut-être ainsi comprendrait-t-on mieux quels sont les enjeux, et le sens, de cet intérêt soudain des autorités françaises pour l’environnement.
1°) Le Grenelle de l’Environnement n’est que la déclinaison, au niveau français, d’une évolution générale vers la prise en mains par le business international des questions écologiques
La mode est au business vert. Depuis que Kofi Annan a lançé en 2000 le « Millenium Ecosystem Assessment », dont l’étude s’est étendue sur la période 2001-2005, et a fait intervenir 1360 experts mondiaux, les initiatives du business international dans le développement durable n’ont cessé de se multiplier.
L’idée générale qui sous-tend ces initiatives est que :
- d’une part des écosystèmes dégradés pourraient nuire à la liberté d’entreprendre et à la réputation des multinationales,
- et que, d’autre part, le développement durable constitue une source de croissance et de profits pour ces mêmes entreprises. Comme le dit tout crûment le Medef : « Le développement durable constitue un moteur de croissance » !...
Il est donc devenu important, aux yeux des « business leaders » de se préoccuper de ces questions. Et pas seulement de s’en préoccuper, mais d’en prendre le leadership. Comme le dit le WBCSD (World Business Council for Sustainable Development) il faut « travailler sur des solutions dirigées par le business » ("business-led solutions"). C’est ainsi que tout récemment, à Genève, le 6 Juillet dernier, les « business leaders » de 153 des plus grandes multinationales ont proposé des mesures pour s’attaquer aux questions climatiques, dans le cadre du programme « Global Compact » des Nations Unies.
Il faut bien voir qu’il s’agit là d’un mouvement mondial très puissant, et que ce mouvement, initié par le business, structure actuellement l’ensemble des initiatives et réflexions nationales en matière de développement durable. La commission européenne s’est elle même alignée : dans sa « stratégie en faveur du développement durable » qu’elle a élaboré à la suite du Conseil européen de Göteborg en 2001, elle précise bien qu’elle ne fait que reprendre les objectifs du « Millenium Assessment »...
Et ce qu’elle nous prépare actuellement, à la suite du Conseil européen du 8 Mars 2007, dans le cadre des « lignes directrices pour les aides d’Etat dans le domaine de l’environnement », est la porte grande ouverte à des initiatives nationales visant à subventionner les entreprises dans ce domaine (document CEE du 10 Mai 2007).
La France, logiquement, s’aligne : il s’agit de s’attaquer aux questions environnementales avec le business, en partenariat avec lui, avec des solutions proposées par lui, et en le subventionnant pour ce faire.
D’où la montée en puissance de personnages qui incarnent cette tendance, comme Nicolas Hulot et sa fondation.
D’où le soudain intérêt du gouvernement actuel pour le développement durable, et l’initiative subséquente du Grenelle de l’Environnement.
On notera au passage le « timing » remarquable de cette opération : publication du document CEE ci-dessus le 10 Mai, annonce du Grenelle de l’Environnement le 19 Mai, convocation des associations à l’Elysée le 21 Mai. Simple coïncidence ? On peut en douter ...
2°) de ce fait, le Grenelle de l’Environnement risque de n’être qu’un marché de dupes, malgré la bonne volonté apparente des uns et des autres
Compte tenu du contexte décrit ci-dessus, on peut penser en effet :
- que tout ce montage ne sert en réalité qu’à accréditer et préparer des mesures de subventionnement du business
- que de ce fait aucun débat réel ne pourra avoir lieu sur des questions qui pourraient fâcher le business et entraver sa sacro sainte « liberté d’entreprendre » : nucléaire, téléphonie mobile, OGM, aggression publicitaire, décroissance, nanotechnologies, toxiques chimiques, etc. Par contre on parlera volontiers de compétitivité et d’emploi, de production et de consommation.... sujets qui, eux, ne fâchent pas. Et bien sûr le vilain mot de « pollution » sera soigneusement évité....
- qu’aucune décision effective ne sera prise, qui remettrait en cause des « opportunités de croissance » pour le business, et que par contre les seules décisions qui seront prises seront celles qui auront trait à de nouveaux débouchés pour les entreprises.
Dès lors on comprend mal l’enthousiasme des associations écologistes : est-ce pure naïveté du corbeau manipulé par le renard, ou plus prosaïquement arrière-pensées concernant de futures subventions éventuelles ?
3°) mais alors qu’aurait-il fallu faire pour que cette « ouverture » ne soit pas une immense déception ?
Pour nous, le rôle de l’Etat – en l’occurence – devrait être de faciliter le débat et l’arbitrage entre des « parties prenantes » aux intérêts contradictoires, comme c’est le cas en matière d’environnement, où les intérêts des industriels et ceux des écologistes ne sont manifestement pas convergents, quoi que l’on essaye de nous faire croire le contraire.
Pour cela organiser un débat est un bon début. Encore faudrait-il :
- que ce débat se fasse de façon équilibrée entre parties réellement représentatives des intérêts en présence, ce qui est loin d’être le cas,
- et que ce débat débouche sur des décisions et des arbitrages effectifs, pris de façon démocratique.
a) la représentativité des participants au Grenelle de l’Environnement devrait être plus équilibrée.
La majorité des participants à ces réunions ne sont pas représentatifs du mouvement écologiste :
1. les syndicats : Alain Lipietz sur son blog s’est déjà légitimement demandé ce que le collège des salariés venait faire dans ces réunions, alors que l’on sait bien que « la plupart des syndicats se sont tournés, au cours du 20ème siècle, vers une ligne consumériste et productiviste », et de rappeler la position pro nucléaire de la CGT....Serait-ce une manoeuvre de plus pour affaiblir la position écologiste ?
2. les « personnalités associées » : on se demande parfois ce que viennent faire dans ces réunions certaines personnalités nommées par l’Etat, dont il semble que la compétence environnementale soit bien faible, et dont la légitimité repose principalement sur leurs titres de « Président » ou de « Directeur » de différentes institutions, ou sur leur surface médiatique. A moins que le but de ces nominations soit de rendre encore un peu plus minoritaire la voix des écologistes dans les groupes de travail ?
3. les écologistes eux-mêmes : ceux qui ont été choisis ne sont guère représentatifs de l’ensemble du mouvement de défense de l’environnement :
- certes, il y a les « incontournables » qu’il aurait été vraiment trop voyant de ne pas inviter ( FNE, WWF, Greenpeace, Les Amis de la Terre...)
- mais que dire de l’omniprésence de la Fondation Nicolas Hulot ? Quelle légitimité écologiste peut-on accorder à une organisation dont le logo d’EDF figure sur la page d’accueil de son site, et dont les références (liens web) sont ONYX et SITA en matière de déchets (à l’exclusion du CNIID), ou le GNIS et l’INRA en matière de biodiversité (à l’exclusion de Kokopelli ou du Réseau Semences Paysannes) ?
- et que dire de la représentativité de l’Alliance pour la Planète elle-même ? Ce regroupement de 79 associations écologistes, très actif dans la préparation du Grenelle de l’Environnement, a certes des positions intéressantes, notamment ses demandes de moratoire sur les OGM, les incinérateurs, les autoroutes et le nucléaire. Mais elle ne représente absolument pas la palette des idées écologistes. Ainsi n’en font pas partie, et ne sont pas représentées à la table des négociations :
- les plus actives associations de défense des animaux comme l’ASPAS, la PMAF, One Voice, le RAC, l’AFIPA, la SPA, etc
- les plus actives associations anti nucléaires comme le Réseau Sortir du Nucléaire, Bure Zone Libre, le CRIIRAD, etc
- les plus actives associations dénonçant les dangers de la téléphonie mobile, comme Robin des Toits, Priartem, le CRIIREM, Next-Up, etc
- la seule association française qui se préoccupe des nanotechnologies : Pièces et Main d’Oeuvre
- les principaux représentants du courant de pensée de la décroissance, comme Casseurs de Pub, l’IEESDS, Recherche et Décroissance, etc
- certaines des associations les plus actives en matière d’OGM comme Inf’Ogm, Ogm Dangers, les collectifs de faucheurs, etc
Pour assurer la - nécessaire - représentativité des parties prenantes d’un tel débat il aurait fallu :
- couvrir dans les groupes de travail l’ensemble des champs de l’écologie, et non en éliminer les sujets les plus sensibles,
- inviter à participer aux débats toutes les associations importantes concernées : comment peut-on débattre de nucléaire hors la présence du Réseau Sortir du Nucléaire, ou de biodiversité hors la présence du Réseau Semences Paysannes, pour ne prendre que ces deux exemples ?
Sans doute faudrait-il aussi mener une réflexion (car il n’y a pas de réponse évidente à cette question) sur la notion de représentativité des associations écologistes : contrairement aux syndicats ouvriers ou aux syndicats agricoles, dont on peut mesurer la représentativité lors des élections professionnelles, il n’y a pas de notion électorale dans le domaine des associations écologistes. Dès lors comment affirmer que FNE est plus (ou moins) représentative que Greenpeace ou que l’Alliance pour la Planète : par la présence médiatique ? par le nombre d’adhérents ? quel critère objectif utiliser ? Si des débats comme le Grenelle de l’Environnement devaient se renouveler, il est certain qu’une réflexion sur ce point serait utile ...
b) il serait nécessaire également que des décisions effectives soient prises en aval des réunions, d’une façon démocratique
Quels sont les enjeux du Grenelle de l’Environnement ? Quelles décisions seront prises, ou ann ulées, ou remises en question, à l’issue de ces débats ? Comment ces décisions seront-elles prises et par qui ? Nul ne le sait, et l’on peut craindre, pour les raisons évoquées plus haut, qu’en réalité aucune décision ne soit prise, qui remettrait en question des intérêts industriels.
Si le Grenelle de l’Environnement est conduit de telle sorte qu’il ne débouche que sur des déclarations de principe consensuelles, ou sur des décisions de subventionnement du business, c’est sûr qu’il n’y aura pas lieu à arbitrages. Il semble bien malheureusement que ce soit l’orientation prise, et ceci avec l’accord tacite des écolgistes eux mêmes ...
Mais s’il était conduit – comme ce serait souhaitable – d’une façon qui amène à formuler clairement les points d’opposition entre les parties prenantes, alors il y aurait matière à arbitrages. Et c’est sans doute ce que souhaite éviter le gouvernement : se retrouver dans la situation où il devrait faire des choix, par exemple entre partisans et opposants aux OGM ...
Ce serait pourtant cela une vraie démocratie, et un Etat qui joue son rôle.
Pour notre part, nous proposerions volontiers - pour éviter à ce pauvre gouvernement d’avoir à faire des choix trop difficiles pour lui - qu’à l’issue du Grenelle de l’Environnement les points d’opposition apparus fassent l’objet d’un référendum. Pourquoi pas, par exemple, lors d’une telle consultation, poser les questions suivantes aux français :
- Etes-vous pour ou contre :
- Un moratoire de 5 ans sur les OGM ?
- Un moratoire de 5 ans sur les autoroutes ?
- Un moratoire de 5 ans sur les incinérateurs ?
- Un moratoire de 5 ans sur le nucléaire ?
Ce référendum pourrait être précédé d’une vraie information du public, à l’occasion d’un vrai débat largement relayé par les médias entre partisans et opposants des technologies ci-dessus.
Cela montrerait que l’on est encore en démocratie, et non dans une ploutocratie où le vrai pouvoir est aux mains du business, et où l’Etat est à son service.
Mais ce serait sans doute bien trop dangereux ...