Suite à la sortie du livre « pesticides, révélations sur un scandale français » voici une enquête sur les critiques qui en ont été faites.
Étonnamment, ce livre a fait parler de lui mais pas autant qu’il aurait dû. En effet : soit ce qui est dit est vrai, et vu la puissance de la charge, le scandale aurait dû éclabousser beaucoup de monde (INRA, ministère de l’agriculture, FNSEA, MSA, scientifiques, experts...), soit c’est faux et il y aurait dû y avoir procès pour diffamation.
Et pourtant, presque aucune réaction, ni des services de l’État, ni des associations et entreprises incriminées. Seuls quelques médias ont parlé de ce livre, en général de manière élogieuse (Le Monde, le Canard Enchaîné, Libération, l’Express, Politis...).
En y regardant de plus près, le site « agriculture et environnement » est un des seuls médias à critiquer négativement ce livre. On trouve aussi le site alerte-environnement qui fait des copier/coller du site agriculture-environnement parfois sans le dire... Et bien sûr, ces deux sites ont été immédiatement repris dans plein de forums sans que leurs informations soient vérifiées.
Le Canard Enchaîné a enquêté récemment. J’ai voulu prolonger leur enquête.
1) à propos du site agriculture-environnement
* « Gil Rivière-Wekstein est membre de l’Afja (Association Française des Journalistes Agricoles) »
Il n’en est pas pour autant journaliste. Cet organisme a pour « membre associé » (sic !) Bayer qui produit l’insecticide Gaucho, accusé d’être une cause de mortalité des abeilles. Il a aussi comme autre « membre associé » (re-sic !) l’UIPP, organisation professionnelle des Industriels de la Protection des Plantes (avec Bayer, BASF et Monsanto entres autres). En clair, les fabricants de pesticides et d’OGM. Un « membre associé » paye une cotisation de 620 €. De là à dire que l’AFJA est financée par les fabricants de pesticides...
2) à propos du site alerte-environnement
Ce site a été créé le 26 février 2007 à 17:53:35, moins de 3 jours avant la sortie du livre (le 1er mars). Coïncidence ?
Il est géré par Gwen Le Gac (qui n’est pas journaliste) qui reprend des pages entières du site agriculture-environnement sans forcément y ajouter de critique ou d’analyse : comparer ici et ici.
Le Canard Enchaîné nous dit ceci : « Gwen Le Gac oeuvre dans la com’, notamment pour l’agence Regards International, qui s’occupait en janvier dernier du secrétariat général du colloque « L’agriculture a-t-elle encore un avenir ? » sponsorisé entre autres par Basf et Monsanto... ». Et aussi par Total qui fait aussi de la pétrochimie et des fertilisants.
Gwen Le Gac répond mais ne dément pas l’article du Canard.
3) analyse des critiques
Reprenons les 14 critiques de Gil Rivière-Wekstein (GRW) (à chaque fois, il y a le passage du livre cité GRW, sa critique puis enfin mon analyse) :
- « A la fin de la guerre, se produit un miracle : l’invention du premier pesticide de synthèse, le DDT ».
Gil Rivière-Wekstein (GRW) : Faux ! De nombreux pesticides de synthèse sont antérieurs au DDT.
Vérification :
- « Le DDT était le premier insecticide moderne (...) Le DDT est synthétisé la première fois par Othmar Zeidler en 1874 »
- Il a fallu attendre 1939 et le développement de l’industrie chimique pour voir apparaître la première molécule à propriétés insecticides élevées : le DDT
- « Sans le chlore, pas de chimie, pas de pesticides... ».
GRW : Faux ! Le glyphosate ne comporte pas de chlore.
Vérification : La phrase figure bien dans le livre (p. 193) mais doit être replacée dans son contexte. La citation exacte est : « le chlore est utilisé dans plus de 50 % de la production chimique industrielle. Sans le chlore, pas de chimie, pas de pesticides... ». Les auteurs veulent juste souligner l’importance capitale du chlore dans la production chimique industrielle. D’autre part, c’est une partie où les auteurs parlent de l’histoire des pesticides, développés à l’origine grâce à d’importants stocks de chlore dont on ne savait que faire. Enfin, on trouve p.196 du livre : « après les organochlorés, ce sera le tour des organophosphorés. » Les auteurs savent donc qu’il existe des pesticides sans chlore.
- « La preuve : le Danemark a interdit [le Round-up] ...en 2003. »
GRW : Faux ! Le Round-Up est toujours homologué au Danemark.
Vérification : on trouve p.205 du livre la vraie phrase : « La preuve : le Danemark a restreint [le Round-up] ...en 2003. »
GRW a remplacé « restreint » par « interdit »...
- « En août 2006, nouvelle compilation de l’Ifen : cette fois, tenez-vous bien, 96% des cours d’eau et 61% des eaux souterraines contiennent au moins un pesticide. »
GRW : Faux ! C’est dans 96 % des points de prélèvements et non 96% des cours d’eau ; une précision qui figure dans le rapport de l’Ifen !
Vérification : voici ce que dit aussi le rapport de l’IFEN :« bien que ces points ne constituent pas un échantillon entièrement représentatif de l’ensemble des cours d’eau et des nappes souterraines du territoire national, ils permettent néanmoins de donner un aperçu de la contamination des eaux par les pesticides. »
Et la vision de l’INRA : « le sixième rapport IFEN sur les pesticides dans les eaux pointe ainsi une contamination quasi-généralisée des eaux par ces produits.
- « Le parathion est attribué à Monsanto. »
GRW : Faux ! Il a été découvert par le Dr Gerard Schrader pour la société IG Farben dans les année trente.
Vérification : On trouve ceci dans le livre (p.204) : « un des nombreux pesticides mis au point ou commercialisés par Monsanto ». Les auteurs ne disent donc pas que Monsanto a créé le parathion.
- « La Comtox, composée uniquement d’experts en toxicologie ».
GRW : Faux ! Il y a des spécialistes du sol, de l’environnement, de l’eau, des médecins, des universitaires, des représentants de différents ministères (Santé, Ecologie) et des écotoxicologues...
Vérification : les auteurs citent, dans ce passage p.221 du livre, le site de la « Direction Départementale de l’Agriculture et des Forêts du Nord » et détaillent ensuite largement la composition de la Comtox au chapitre 12 du livre. Au passage, voici une citation accablante du président d’honneur de la Comtox (chargée d’évaluer la dangerosité des pesticides) : « les générations futures se démerderont comme tout le monde » (p. 222 du livre).
- « Car le méchant juge décide de suspendre du même mouvement l’autorisation de commercialiser le Régent ».
GRW : Faux ! Le juge Guary n’a rien interdit, c’est Hervé Gaymard qui a suspendu la commercialisation des traitements de semences à base de Régent.
Vérification : le livre précise bien que M. Gaymard a suspendu la commercialisation des produits contenant du fipronil (p.63 du livre). Mais le juge a effectivement été plus rapide que le ministre, cf arrêt en date du 16 décembre 2006, chambre criminelle n° pourvoi 06-80025 du parquet de Saint-Gaudens, repris dans la presse :
« La justice suspend la vente du Régent, accusé de tuer les abeilles »
C’est d’ailleurs sans doute la décision du juge a d’ailleurs qui a poussé le ministre à agir à son tour.
- « Et le soja transgénique résistant au Round-Up a entraîné une augmentation des ventes de l’insecticide de 72% »
GRW : Faux ! le Roundup est un herbicide et non un insecticide. Quelle maîtrise du sujet !
Vérification : voici l’extrait exact : « Et le soja transgénique résistant au Round-Up a entraîné une augmentation des ventes de l’herbicide de 72% ».
Les auteurs ont donc employé le terme exact, c’est GRW qui déforme leurs propos !
- « Le fipronil a toutes les chances de passer dans le lait, de s’y fixer et de contaminer ensuite ceux qui le boivent. ».
GRW : Faux ! Aucune étude n’a jamais mis en évidence la moindre trace de fipronil dans le lait.
Vérification : voici un avis de l’Afssa : « Pour l’enfant en bas-âge fort consommateur de lait, l’exposition théorique au fipronil peut, dans certains scénarios, dépasser la dose de référence toxicologique. »
On reste dans une approche théorique mais les auteurs, qui ont utilisé le conditionnel pour tempérer leur propos, ont raison de dire que le risque existe.
- La présence de pesticides dans les eaux serait en « augmentation constante depuis des décennies ».
GRW : Faux ! Dans le rapport de l’Ifen de 2006, on peut lire que les valeurs de 2004 « sont très proches de celles figurant dans le sixième bilan annuel des pesticides dans les eaux, relatives à l’année 2002 ». En outre, les résultats ne sont systématiquement communiqués par l’Ifen que depuis 1998 (donc pas des décennies).
Vérification : les pesticides de synthèse sont utilisés depuis des décennies et les eaux françaises sont désormais très contaminées donc il y a eu une très forte dégradation depuis des décennies. De plus, il est logique qu’entre 2004 et 2002, les valeurs soient proches puisque 96 % des points de collecte sont touchés. Il ne peut plus y avoir de grande augmentation à ce niveau là !
- « Le constat sur le terrain est terrifiant. On glisse, on dérape sur des tapis d’abeilles mortes ».
GRW : Faux ! Aucune des études réalisées sur le terrain n’a mis en évidence des « tapis d’abeilles mortes ». Selon Eric Thybaud, en charge du dossier Gaucho pour la ComTox, « on n’a jamais réussi à montrer [les effondrements d’abeilles décrits par les apiculteurs] sur les études de terrain. »
Vérification : j’ai contacté Éric Thybaud (sans réponse pour le moment) pour savoir si ces propos sont bien les siens et s’ils n’ont pas été déformés. En attendant, voici un lien vers un article des Échos.
- « Si on donne à l’insecte une plante gorgée d’un pesticide qu’elle produit, il s’habitue bien mieux que si vous lui infligiez une forte dose chimique à un moment particulier de sa vie. »
GRW : Faux ! Le maïs Bt a une efficacité supérieure à un traitement insecticide sur la pyrale.
Vérification : d’une part, nous avons un avis mitigé du gouvernement canadien sur la question, d’autre part, les cas d’insectes résistants aux pesticides (de même que des microbes résistants aux antibiotiques) sont avérés. Le livre précise d’ailleurs qu’un insecte plus dangereux que la pyrale s’est installé sur le maïs OGM (p. 249 du livre), confirmant les craintes du Sénat.
- « Pour combattre nématodes, charançons ou champignons sur le bananier, il faut venir, repasser, revenir encore. Et pulvériser. Sur la plante ».
GRW : Faux ! Hormis les fongicides, effectivement appliqués sur la plante, tous les autres traitements sont effectués au pied des plantes.
Vérification : le glyphosate, substance active de nombreux herbicides, non seulement pénètre par les parties aériennes de la plante mais en plus ne pénètre pas par la racine.
On retrouve confirmation sur le site même du Roundup qui parle bien de « pulvériser sur le feuillage et les parties vertes ». On a d’autres confirmations par le CNRS et l’AFFSET.
- « Par précaution, précisons que dans les lignes qui suivent, nous n’affirmerons rien d’autre que notre grande ignorance ».
GRW : Vrai ! Mais diable, pourquoi alors avoir écrit ce livre ?
Vérification : les auteurs ont le mérite de le reconnaître et ont de multiples sources pour compenser.
- Conclusion
Le livre est étayé et connu (vendu à plus de 20 000 exemplaires). Les principales (seules ?) critiques négatives viennent de GRW que tout le monde s’est empressé de copier/coller sur des sites ou des forums sans vérifier et c’est bien dommage : ses critiques sont faibles (14 critiques à rapporter aux 373 pages du livre), sans source, se fondent essentiellement sur des détails et sont exagérées voire carrément erronées.
Nous avons démontré que les deux sites analysés contiennent des erreurs flagrantes. Si GRW et Gwen Le Gac ne corrigent pas leur site respectif, nous pourrons considérer qu’il s’agit de désinformation volontaire.
Le livre critique haut et fort avec moult détails le travail du lobbye des pesticides qui sème le doute pour gagner du temps (comme pour le tabac et le réchauffement climatique) et cherche à ne pas ébruiter l’affaire autour du livre. Faisons du bruit ! Comme disent les auteurs en conclusion de leur livre : « à chacun son travail ». Ils nous ont alerté, à nous désormais de diffuser l’information !
Pour finir...
Un petit jeu : allez sur le site de Libération et faites une recherche avec le mot « pesticides ». Aucune trace de la critique qu’ils ont faite du livre mais vous verrez apparaître dans les « liens sponsorisés », le site de promotion des pesticides mis en place par l’UIPP (les fabricants de pesticides).
La décroissance ? Et pourquoi pas ?