Par SERGE LOUPIEN
Après quoi, Zawinul refusa obstinément de rompre avec la pratique du synthétiseur illico imposée par son capricieux leader. Même s’il devait plus tard s’attacher à faire évoluer son jazz-rock un peu planant vers une espèce de world progressiste, dont les prémices étaient déjà présentes, en 1976, sur l’album Black Market de son groupe expérimental Weather Report.
Traite des vaches. Il faut dire qu’avec sa dégaine de trafiquant ouzbek et ses bobs en laine Pingouin, Joe Zawinul a toujours détonné parmi les formations de Miles Davis. Que celles-ci affichent un look de cadres supérieurs à la Modern Jazz Quartet, ou qu’elles s’habillent chez Arlequin. Sans doute parce que, né à Vienne (le 7 juillet 1932), et élevé dans une ferme située à quelques kilomètres de la capitale autrichienne, Zawinul a grandi en partageant son temps entre la traite des vaches et l’apprentissage de la clarinette, le premier de ses multiples instruments.
Car pour son sixième anniversaire, un parent lui offre un accordéon. Pendant un an, le jeune Josef s’exerce alors, en autodidacte, à compresser les soufflets et à enfoncer les boutons. Après l’accordéon, il se met au violon. Puis au piano, qu’il étudie au conservatoire de Vienne, établissement réputé pour la qualité de son enseignement. Entre deux gammes, Josef s’essaie également à la trompette basse et au vibraphone, instrument pour lequel il conservera, durant toute sa carrière, une certaine tendresse, même s’il ne l’emploiera plus que parcimonieusement
De ces années tourmentées (en 1944, il se retrouve en Tchécoslovaquie après avoir fui les bombardements), Zawinul conservera toujours un bon souvenir, affirmant volontiers : «L’Autriche est un pays magnifique et les Autrichiens le peuple le plus chaleureux du monde.» Ce qui laissera toujours pantois Miles Davis, issu d’un milieu favorisé, et aux yeux duquel Zawinul faisait presque figure de vétéran de la Seconde Guerre mondiale, voire d’authentique résistant.
C’est en 1952, que Josef Zawinul effectue ses débuts de pianiste de jazz professionnel, au côté du ténor Hans Koller. L’année suivante, il découvre, à Munich, Lester Young, qui le branche sur le circuit des bases américaines. Au même moment, il fait la connaissance du pianiste Friedrich Gulda, lequel présente la particularité de couvrir les domaines du jazz (il enregistrera avec Cecil Taylor) et de la musique classique.
Plongée en apnée. De retour des Etats-Unis, Gulda pousse son jeune compatriote à s’expatrier. En 1959, Zawinul débarque donc à Boston, où son premier gig conséquent consiste à remplacer, au pied levé, le pianiste d’Ella Fitzgerald. Il va ainsi gagner une réputation qui ne le quittera plus et lui vaudra de travailler ensuite avec Maynard Ferguson, Wayne Shorter (futur cofondateur de Weather Report), Dinah Washington ou encore Cannonball Adderley, en compagnie duquel il gravera, en 1966 : Mercy, Mercy, Mercy.
La suite fait partie de l’histoire du jazz fusion, jusqu’à la rupture (musicale) avec Shorter et cette plongée en apnée dans les rythmiques africaines qui allait donner naissance au Zawinul Syndicate. Groupe dont son créateur assurait : «C’est celui dont je suis le plus fier.» Le dernier aussi.
Souffrant d’un cancer de la peau, Joe Zawinul s’est éteint hier dans sa ville natale. Agé de 75 ans, il avait été élu 28 fois meilleur clavier de l’année, par la presse spécialisée.