« Les peuples de la faim interpellent, aujourd'hui, de façon dramatique les peuples de l'opulence. Une action concertée est nécessaire pour le développement intégral de l'homme et le développement solidaire de l'humanité, car le déséquilibre s'accroît. Les conflits se sont élargis aux dimensions du monde. Ainsi commence l'éditotial de François Régis Hutin dans l'édition de ce samedi de Ouest France
À cela s'ajoute le scandale de disparités criantes dans la jouissance des biens comme dans l'exercice du pouvoir. Les heurts entre les civilisations traditionnelles et les nouveautés de la civilisation industrielle brisent les structures. Dans ce désarroi, la tentation se fait plus violente, qui risque d'entraîner vers les messianismes, bâtisseurs d'illusions.
« Dans ces conditions, une vision globale de l'homme et de l'humanité est plus nécessaire que jamais. Cette vision implique la solidarité universelle qui est un fait, un bénéfice pour nous, mais aussi un devoir. Elle conduit à constater que, si la Terre est faite pour fournir à chacun les moyens de sa subsistance et les instruments de son progrès, tout homme a le droit d'y trouver ce qui lui est nécessaire. « Tous les autres droits, quels qu'ils soient, y compris ceux de propriété et de libre commerce, y sont subordonnés. C'est dire que la propriété privée ne constitue, pour personne, un droit inconditionnel et absolu. Le bien commun exige donc parfois l'expropriation. Un libéralisme sans frein conduirait à la dictature comme génératrice de l'impérialisme international de l'argent. Or, l'équité dans les relations commerciales exige que l'on n'enlève pas d'une main ce que l'autre apporte. Cela signifie aussi que la règle du libre échange ne peut plus, à elle seule, régir les relations internationales malgré ses avantages évidents. Une économie d'échanges ne peut plus reposer sur la seule loi de libre concurrence qui engendre, trop souvent, elle aussi, une dictature économique. La justice sociale exige que le commerce international, pour être humain et moral, rétablisse entre partenaires au moins une certaine égalité. « Il faut donc, pour tout cela, des programmes. Ceux-ci sont nécessaires pour encourager, stimuler, coordonner, suppléer et intégrer l'action des individus et des institutions. Nous éviterons ainsi le péril d'une collectivisation intégrale d'une planification arbitraire. Or, l'homme n'est vraiment homme que dans la mesure où, maître de ses actions et juge de leurs valeurs, il est lui-même auteur de son progrès. » « Le développement est le nouveau nom de la paix » Ce texte pourrait servir de programme, aujourd'hui même, à ceux qui ne rêvent pas seulement d'un monde plus juste, mais veulent le construire en en modifiant les structures. Ce texte, constitué d'extraits de l'encyclique Populorum Progressio, promulguée par le pape Paul VI, en 1967, est étonnamment actuel. Cette analyse est largement celle du dominicain français, Louis-Joseph Lebret. Aujourd'hui comme hier, les obstacles à surmonter sont ceux que l'encyclique signale : le nationalisme et le racisme. Aujourd'hui comme hier, le travail est important en lui-même, mais aussi parce qu'il « unit les volontés, rapproche les esprits, soude les coeurs » à condition qu'il soit humain, c'est-à-dire qu'il demeure « intelligent et libre ». Ce texte est audacieux aussi quand il demande, par exemple, que soit constitué un grand fonds mondial, alimenté par une partie des dépenses militaires et quand il dénonce « toute course épuisante aux armements comme un scandale intolérable ». Quant à l'appel à un développement intégral, c'est-à-dire qui assure la promotion de « tout homme et de tout l'homme », il est fondé sur la conviction qu'il ne faut pas séparer l'économique de l'humain ; que l'économie est au service de l'homme et non l'inverse. C'est dans cette perspective qu'alors « un dialogue centré sur l'homme et non sur les denrées ou les techniques pourra s'ouvrir ». Les auteurs de ce texte voient bien le danger du choc des civilisations dont il est question aujourd'hui. Mais, pour eux, il s'agit justement de l'éviter en instaurant le dialogue, en promouvant le développement intégral. Il y va « de la vie des peuples pauvres, de la paix civile dans les pays en voie de développement et, pour tout dire, de la paix du monde... Le développement est le nouveau nom de la paix » ! En ce début du XXIe siècle, alors qu'il est encore plus urgent de résoudre ces problèmes, oui, décidément, « l'heure de l'action a sonné ».
François Régis Hutin