Alors que le gouvernement dévoile son Grenelle de l'environnement, les sociétés cultivent leur image «propre». Avec plus ou moins de résultats.
La France vire au vert. En présentant, le 27 septembre, les propositions des six groupes de travail du Grenelle de l'environnement, Jean- Louis Borloo l'a martelé : «On ne peut plus opposer écologie et développement.»
Les entreprises n'ont pas attendu ce message pour enfiler le costume vert. Mais les Français ont des doutes. Début septembre, l'agence TBWA Non Profit et l'Ifop ont publié une enquête réalisée auprès de 1200 consommateurs sur leur perception de 90 marques et entreprises en matière de respect de l'environnement (ci-contre). Résultat : des notes souvent mauvaises, avec une moyenne générale inférieure à 5 sur 10. Le meilleur élève, Evian, n'obtient que 6,9 !
Posture opportuniste
Il laut dire que la communication autour du «développement durable» peut être la meilleure ou la pire des choses. La palme de la récupération revient à la publicité de Mitsubishi pour son 4x4 Outlander, «conçu et développé au pays des accords de Kyoto» ! C'est ce que Jacques-Olivier Barthes, porte-parole de WWF France, appelle le «green washing» - le blanchiment écologique, le discours de façade. En Norvège, le problème ne se posera bientôt plus. A partir du 15 octobre, les publicités pour automobiles n'auront plus le droit de se référer à l'environnement, y compris celles des véhicules hybrides, comme la Prius de Toyota.
Sans aller jusqu'à ces extrémités, la multiplicité des initiatives doit inciter à faire lapait des choses entre la posture opportuniste et le travail de fond. Ainsi, l'enquête TBWA valorise le positionnement des hypers Leclerc, qui ont su faire de l'environne ment un avantage compétitif en communiquant sur la suppression des sacs en plastique ou en soutenant l'opération Nettoyons la nature !. Mais elle semble avoir déclassé les efforts de Monoprix. Depuis plusieurs années, la chaîne de supermarchés passe pourtant au crible écologique les conditions de transport de ses marchandises. Elle a aussi développé une gamme d'aliments Monoprix Bio et de produits d'entretien Monoprix Vert.
Ikea, profitant de son image Scandinave, est apprécié, lui, à la hauteur de ses investissements verts : «Tous nos magasins ont un coordinateur environnement qui s'assure que nos objectifs sont connus, explique Jean-Louis Baillot, le directeur de la filiale française. Aujourd'hui, nous trions 74% de nos déchets, et notre consommation électrique a été réduite de 24% en deux ans.»
Pas de démarche globale
Cette implication du personnel est un bon baromètre pour mesurer l'engagement réel de l'entreprise. Récemment, Novethic, filiale de la Caisse des dépôts, a publié une étude sur la formation des salariés aux questions environnementales dans les entreprises du Cac 40. Résultat : seules deux lui accordent une place centrale. «Et pourtant, toutes communiquent sur le sujet, constate Anne-Catherine Husson-Traoré, sa directrice. Mais, au-delà de la posture, les deux tiers n'ont pas de démarche globale et structurée.» Et de pointer du doigt Alstom, Capgemini ou Air France.
La compagnie aérienne s'est interrogée de longs mois avant de fixer son cap écologique. Bousculée sur le territoire national par l'éco-comparateur de la SNCF, et maintenant par les coups de boutoir d'Anne-Marie Idrac, la présidente, qui veut donner une dimension écologique à la concurrence train-avion, Air France se réveille : son propre calculateur de CO2 a été enfin mis en ligne; et dans quelques semaines, ses clients pourront diminuer leur «empreinte écologique» en s'acquittant d'une taxe qui sera reversée à une association, probablement celle de Yann Arthus-Bertrand. La compagnie mise aussi sur le renouvellement de sa flotte pour moins polluer.
Objectif carbone neutral
Car le transport aérien est l'un des leviers des entreprises qui veulent devenir carbone neutral. Le 25 septembre, ATKearney a annoncé s'être fixé cet objectif d'ici deux ans. «Nos 1 500 consultants font l'équivalent d'une fois le tour de la Terre en avion par an, explique Louis Besland, partner France. Cela représente 15 tonnes de CO2 par salarié.» A l'avenir, ils seront encouragés à prendre le train et à travailler par téléconférence. Pour compenser ses émissions de carbone, le cabinet de conseil va aussi financer des projets environnementaux.
Parmi les secteurs les moins bien notés par TBWA, on trouve naturellement l'industrie pétrolière. Total écope d'un 3 sur 10. Pourtant, depuis le naufrage de l'Erika et l'explosion de l'usine AZF, l'entreprise multiplie les initiatives : captage et stockage de CO2, gestion et tri des déchets industriels, réhabilitation des sites. Au contraire, EDF et GDF capitalisent sur leur communication en matière d'environnement. «Et il existe une adhésion des Français au nucléaire perçu comme un moindre mal», explique Laurent Terrisse, directeur de TBWA Non Profit. La pédagogie finirait-elle par laisser, elle aussi, son «empreinte» ?
Borloo vise d'abord les transports
Les différents groupes de travail du Grenelle de l'environnement ont rendu leur rapport : près d'un millier de propositions ont été formulées, mais seule une vingtaine seront adoptées. L'éco-redevance kilométrique sur les poids lourds (prélevée sur les autoroutes non concédées et les routes nationales) a de fortes chances de passer, tout comme l'éco-pastille qui pénalisera les voitures neuves les plus polluantes. Une taxe sur le kérosène pour les avions qui desservent les mêmes villes que le train est à l'étude. Une «contribution énergie climat» sous forme d'augmentation de la TIPP est fortement recommandée. Ce serait une mesure très impopulaire, il n'est donc pas certain qu'elle soit adoptée. Une taxe sur les produits à forte densité en carbone venant d'un pays qui n'a pas signé le protocole de Kyoto est en discussion. Comme elle devra être adoptée dans toute l'Europe, cela prendra du temps. Les agriculteurs, eux, devraient échapper à une taxe sur les pesticides en échange d'un programme de réduction.
par Kira Mitrofano