La commission énergie du Centre d'analyse stratégique (ex-Plan) doute des capacités de la France à diviser ses émissions de CO 2 par 4 d'ici à 2050. Une division par 2,1 ou 2,4 serait " déjà très ambitieuse ".
Le rapport final de Jean Syrota, qui doit être publié cette semaine, risque de faire désordre à quelques semaines de la grand-messe du Grenelle de l'environnement. Alors que la France se veut volontiers donneuse de leçons sur les objectifs de réduction de gaz à effet de serre, le rapport, que La Tribune s'est procuré, prône la fin de l'angélisme écologique. Si on le croit, avec la meilleure volonté du monde, la France pourrait diviser ses émissions de CO2 par 2,1 d'ici à 2050, voire par 2,4. Mais certainement pas par 4, comme la loi énergie du 13 juillet 2005 le préconise.
L'ex-Commissariat au Plan n'est pas la première organisation dépêchée au chevet de la politique énergétique française. Il retient néanmoins l'attention par son souci de réalisme. Le précédent opus sur le sujet, baptisé " Facteur 4 ", pour division par 4 des émissions de CO2 et présidé par Christian de Boissieu dans le cadre de la Direction générale de l'énergie et des matières premières (DGEMP), était un groupe politique. Les 76 fonctionnaires, industriels et politiques sollicités par Jean Syrota s'inscrivent, eux, dans le monde des possibles.
" À l'horizon 2050, compte tenu des besoins de croissance, il est apparu difficile d'obtenir mieux qu'un facteur 2, sauf à s'engager dans des ruptures technologiques qui n'ont pas été retenues parce qu'elles ont paru peu probables ", expliquent ainsi les experts. Des ruptures technologiques auxquelles le " Facteur " 4 s'accrochait au contraire. Ainsi le recours à l'hydrogène dans les transports, mais aussi la capture et le stockage de CO2, deux hypothèses dont la faisabilité technique et la viabilité économique sont aujourd'hui sujettes à débat, ne sont pas prises en compte par la commission.
VISION MODESTE DE L'ECOLOGIE
Car à force de pragmatisme, le rapport Syrota obéit à une vision modeste de l'écologie, qui se répercute sur ses hypothèses de travail : le rapport " Facteur 4 " comptait sur un baril de pétrole à 30 dollars, le rapport Syrota l'envisage plutôt à 100 dollars. Dans la même logique, il juge que la France devrait plaider pour l'application du " Facteur 4 " dans le reste de l'Europe. Et adopter une politique de réduction de ses émissions progressive plutôt que radicale, en raison des incertitudes qui planent sur le niveau du réchauffement climatique et de l'engagement modéré de la communauté internationale à ce jour.
Quant aux modes d'action, le Centre d'analyse stratégique propose une série de mesures. Les taxes à l'importation des produits à fort contenu énergétique, la vente aux enchères de quotas de CO2 et l'harmonisation de leur mode d'attribution au niveau européen sont déjà en discussion. Les mesures les plus " ambitieuses " visent l'automobile avec la limitation des émissions de CO2 des véhicules neufs à 120g/km d'ici à 2012, ce qui favorise plutôt les constructeurs français. La TIPP devrait elle aussi augmenter de 3 centimes par an pour l'essence, et de 5 centimes par an pour le gazole. Mais surtout, la vignette devrait être rétablie et proportionnelle aux tonnes de CO2 émises par véhicule.
Enfin, le rapport Syrota juge nécessaire une évaluation précise des politiques publiques en faveur du climat, qui concernent surtout l'habitat. Alors que la défiscalisation des travaux sur les fenêtres est parvenue à capter l'essentiel du marché en France, il propose de limiter les avantages fiscaux aux équipements les plus performants comme les chaudières à condensation. Du côté des énergies renouvelables, Jean Syrota suggère dereporter dans le temps l'investissement dans les biocarburants tout en relançant l'hydraulique, malgré les réserves environnementales que cela représente.
ALINE ROBERT