Le leader mondial des cosmétiques vise le statut d'entreprise irréprochable, rien de moins.
La multinationale française L'Oréal, qui domine le secteur des cosmétiques, est reconnue comme un leader en matière de développement durable. Ses initiatives au chapitre de l'environnement, des conditions de travail, de la lutte contre le sida et de la diversité au sein de son personnel font école.
Le journal Les Affaires s'est entretenu avec Pierre Simoncelli, directeur du développement durable du groupe L'Oréal, lors d'un récent passage à Montréal. Retour sur une entreprise dont les ventes reposent sur l'image et le look, mais dont l'engouement pour la durabilité va au-delà du premier coup d'oeil.
Les Affaires - Le développement durable est un concept utilisé à toutes les sauces, par un peu tout le monde. Qu'est-ce que cette idée représente pour L'Oréal ?
Pierre Simoncelli - J'aime bien citer la phrase attribuée à Saint-Exupéry que je trouve très belle : " La terre n'est pas héritée de nos parents, elle est empruntée à nos enfants. " Le développement durable chez l'Oréal se traduit donc par trois priorités : le progrès économique, qui s'appuie sur la qualité des relations avec et entre nos employés, tout en respectant l'environnement et les droits de la personne.
Concrètement, comment prend forme le développement durable dans votre entreprise ?
Puisque 40 % de nos ingrédients sont naturels, leur culture et leur récolte ont un impact. Nous avons donc développé des outils afin d'évaluer les retombées de toutes les matières premières qui entrent dans la fabrication de nos produits.
Nous avons également élaboré un code de conduite pour nos fournisseurs. Des tierces parties réalisent des audits sociaux de nos fournisseurs : nous en avons fait plus de 300 l'an dernier.
Nous demandons aussi aux mêmes auditeurs de vérifier les conditions qui règnent dans nos centres de distribution. De cette manière, nous n'imposons rien à nos partenaires à quoi nous ne nous sommes pas soumis préalablement.
Qu'arrive-t-il si les conditions jugées minimales par L'Oréal ne sont pas respectées par vos fournisseurs ?
L'idée est de tirer les gens vers le haut. Si on arrête de travailler avec un fournisseur dès qu'il y a un problème, c'est un échec, parce qu'on n'a rien réglé. Et je dois dire que notre dialogue avec les ONG sur ce sujet nous a beaucoup aidés.
Nous avons beaucoup appris avec Body Shop, dont nous avons fait l'acquisition en 2006. Nous avons énormément de respect pour leur démarche.
Comment éviter la " ghettoïsation " du développement durable, qui a lieu lorsque cette question est assignée à une équipe mais qu'elle n'est pas réellement intégrée dans le processus de décision de l'entreprise ?
C'est vrai que ce risque existe, lorsque les différentes divisions travaillent en silos. Mais chez nous ça ne se passe pas comme ça, grâce au réseautage.
J'aime bien dire que la personne qui en fait le moins pour le développement durable chez L'Oréal, c'est moi, qui en suis responsable ! Ce n'est pas moi qui peux agir, je ne peux que réseauter, autant à l'interne qu'à l'externe, concerter ou initier des projets. Ce sont les autres qui peuvent passer à l'action.
La forte implication du directeur général du groupe L'Oréal, Jean-Paul Agon, qui dirige le comité développement durable, aide également à faire en sorte que le développement durable soit intégré chez L'Oréal.
Un peu comme Toyota, L'Oréal est considérée comme le leader de son secteur en développement durable. Cet aspect occupe d'ailleurs une place importante dans les communications d'entreprises des deux sociétés. Y a-t-il un danger à s'afficher aussi clairement comme promoteur du développement durable ?
Je tiens tout d'abord à préciser que nous avons encore beaucoup de choses à faire chez L'Oréal, notamment afin de nous doter d'objectifs environnementaux à long terme et de diminuer l'emballage de nos produits.
Cela dit, je suis convaincu que les attentes envers nous sont plus élevées. Le leader de marché est celui qui donne le ton.
Contrairement à des entreprises comme Ben & Jerry's ou Body Shop, dont la marque est directement associée à des valeurs fortes et à des gens engagés, nous n'avons pas le bénéfice du doute chez L'Oréal. Je dirais même que c'est la situation inverse dans notre cas, mais c'est très bien ainsi.
Mais comment faire pour répondre à ces attentes ?
La solution consiste à éviter des catalogues de bonnes intentions. Il faut nous doter d'objectifs clairs et réalistes, et être transparents dans nos progrès pour atteindre ces objectifs.
L'honnêteté est très importante, parce qu'elle amène la crédibilité. C'est pourquoi je tiens toujours à souligner nos réussites, mais aussi les difficultés auxquelles nous faisons face, dans nos rapports annuels sur le développement durable.
L'Oréal avait par exemple l'intention de faire certifier toutes ses usines ISO 14001, la norme sur le management environnemental, en 2005. Or nous n'avons réussi à le faire qu'un an plus tard.
Même si nous avons un parcours exemplaire en matière de santé et sécurité du travail, nous avons déploré deux accidents mortels en 2006.
Avec le recul, quel est le principal avantage que L'Oréal tire de l'accent qu'elle met sur le développement durable ?
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas au niveau de l'image. Je crois qu'aujourd'hui la communication sur le développement durable est incontournable.
Par contre, on réalise que le développement durable est très rassembleur à l'interne. L'écho auprès des employés de 25-30 ans est très fort. Je suis frappé de voir à quel point ces sujets sont importants pour cette génération.
Outre les avantages, on ne peut ignorer la pression exercée par le réseau de distribution sur ces questions. Par exemple, Wal-Mart, aux États-Unis, met de l'avant des initiatives, et nous travaillons avec eux pour mieux répondre aux attentes des consommateurs.
par Alexis Beauchamp
Voir tous les articles de Alexis Beauchamp
Texte mis en ligne le 15 novembre 2007 à 9:06
Cet article est tiré du journal Les Affaires du 17 au 23 novembre 2007.
Les Affaires - Le développement durable est un concept utilisé à toutes les sauces, par un peu tout le monde. Qu'est-ce que cette idée représente pour L'Oréal ?
Pierre Simoncelli - J'aime bien citer la phrase attribuée à Saint-Exupéry que je trouve très belle : " La terre n'est pas héritée de nos parents, elle est empruntée à nos enfants. " Le développement durable chez l'Oréal se traduit donc par trois priorités : le progrès économique, qui s'appuie sur la qualité des relations avec et entre nos employés, tout en respectant l'environnement et les droits de la personne.
Concrètement, comment prend forme le développement durable dans votre entreprise ?
Puisque 40 % de nos ingrédients sont naturels, leur culture et leur récolte ont un impact. Nous avons donc développé des outils afin d'évaluer les retombées de toutes les matières premières qui entrent dans la fabrication de nos produits.
Nous avons également élaboré un code de conduite pour nos fournisseurs. Des tierces parties réalisent des audits sociaux de nos fournisseurs : nous en avons fait plus de 300 l'an dernier.
Nous demandons aussi aux mêmes auditeurs de vérifier les conditions qui règnent dans nos centres de distribution. De cette manière, nous n'imposons rien à nos partenaires à quoi nous ne nous sommes pas soumis préalablement.
Qu'arrive-t-il si les conditions jugées minimales par L'Oréal ne sont pas respectées par vos fournisseurs ?
L'idée est de tirer les gens vers le haut. Si on arrête de travailler avec un fournisseur dès qu'il y a un problème, c'est un échec, parce qu'on n'a rien réglé. Et je dois dire que notre dialogue avec les ONG sur ce sujet nous a beaucoup aidés.
Nous avons beaucoup appris avec Body Shop, dont nous avons fait l'acquisition en 2006. Nous avons énormément de respect pour leur démarche.
Comment éviter la " ghettoïsation " du développement durable, qui a lieu lorsque cette question est assignée à une équipe mais qu'elle n'est pas réellement intégrée dans le processus de décision de l'entreprise ?
C'est vrai que ce risque existe, lorsque les différentes divisions travaillent en silos. Mais chez nous ça ne se passe pas comme ça, grâce au réseautage.
J'aime bien dire que la personne qui en fait le moins pour le développement durable chez L'Oréal, c'est moi, qui en suis responsable ! Ce n'est pas moi qui peux agir, je ne peux que réseauter, autant à l'interne qu'à l'externe, concerter ou initier des projets. Ce sont les autres qui peuvent passer à l'action.
La forte implication du directeur général du groupe L'Oréal, Jean-Paul Agon, qui dirige le comité développement durable, aide également à faire en sorte que le développement durable soit intégré chez L'Oréal.
Un peu comme Toyota, L'Oréal est considérée comme le leader de son secteur en développement durable. Cet aspect occupe d'ailleurs une place importante dans les communications d'entreprises des deux sociétés. Y a-t-il un danger à s'afficher aussi clairement comme promoteur du développement durable ?
Je tiens tout d'abord à préciser que nous avons encore beaucoup de choses à faire chez L'Oréal, notamment afin de nous doter d'objectifs environnementaux à long terme et de diminuer l'emballage de nos produits.
Cela dit, je suis convaincu que les attentes envers nous sont plus élevées. Le leader de marché est celui qui donne le ton.
Contrairement à des entreprises comme Ben & Jerry's ou Body Shop, dont la marque est directement associée à des valeurs fortes et à des gens engagés, nous n'avons pas le bénéfice du doute chez L'Oréal. Je dirais même que c'est la situation inverse dans notre cas, mais c'est très bien ainsi.
Mais comment faire pour répondre à ces attentes ?
La solution consiste à éviter des catalogues de bonnes intentions. Il faut nous doter d'objectifs clairs et réalistes, et être transparents dans nos progrès pour atteindre ces objectifs.
L'honnêteté est très importante, parce qu'elle amène la crédibilité. C'est pourquoi je tiens toujours à souligner nos réussites, mais aussi les difficultés auxquelles nous faisons face, dans nos rapports annuels sur le développement durable.
L'Oréal avait par exemple l'intention de faire certifier toutes ses usines ISO 14001, la norme sur le management environnemental, en 2005. Or nous n'avons réussi à le faire qu'un an plus tard.
Même si nous avons un parcours exemplaire en matière de santé et sécurité du travail, nous avons déploré deux accidents mortels en 2006.
Avec le recul, quel est le principal avantage que L'Oréal tire de l'accent qu'elle met sur le développement durable ?
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas au niveau de l'image. Je crois qu'aujourd'hui la communication sur le développement durable est incontournable.
Par contre, on réalise que le développement durable est très rassembleur à l'interne. L'écho auprès des employés de 25-30 ans est très fort. Je suis frappé de voir à quel point ces sujets sont importants pour cette génération.
Outre les avantages, on ne peut ignorer la pression exercée par le réseau de distribution sur ces questions. Par exemple, Wal-Mart, aux États-Unis, met de l'avant des initiatives, et nous travaillons avec eux pour mieux répondre aux attentes des consommateurs.
par Alexis Beauchamp
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Texte mis en ligne le 15 novembre 2007 à 9:06
Cet article est tiré du journal Les Affaires du 17 au 23 novembre 2007.