Marguerite Barankitsé se bat pour les orphelins du Burundi. Entre sourire et coups de gueule, elle se bat pour gommer la haine. Le Burundi,7 millions d'habitants, est trop souvent confondu avec son faux jumeau rwandais. Ce petit pays compte 660 000 orphelins. Avec la Maison Shalom, Marguerite Barankitsé en a déjà sauvé des milliers. Un parcours étonnant qu'elle évoque lors de la semainede la solidarité dans les Pays de la Loire.
Notre dossier "Semaine de la Solidarité Internationale"
Elle est arrivée lundi à Paris. En pleine grève des trains. Elle n'a pas eu de mal à trouver des amis pour l'accompagner jusqu'à Nantes. Marguerite Barankitsé, Maggy tout simplement, a un énorme carnet d'adresses. Des gens de toutes conditions, pauvres, modestes ou riches. Il y a même des reines qui l'ont décorée. À 51 ans, cette Burundaise collectionne les distinctions pour son action et son courage.
Elle est devenue « la femme aux 10 000 enfants » (1). Ce matin, elle rencontre une centaine d'élèves de l'Institution Saint-Gabriel et Saint-Michel, à Saint-Laurent-sur-Sèvre, en Vendée. La voici, élancée et élégante dans un boubou coloré. Elle s'exprime dans un français parfait, s'excuse néanmoins pour son accent.
« Chez nous, au Burundi, nous parlons le Kifrançais. » Elle sourit, rit et fait rire à tout bout de champ. Quand, par exemple, elle imite et se moque gentiment des religieuses belges de son enfance. « Il y a encore des gens pour penser qu'on peut sauver le monde en étant triste. Moi, je préfère la résurrection au Vendredi saint... »
Et vlan. « Je suis rebelle, anarchiste et folle. On me l'a souvent dit », prévient cette femme au parcours hors du commun. La Maison Shalom, son organisation, soutenue par de nombreuses institutions, a construit plusieurs centres d'accueil et cinq cents maisons : « De petites cellules familiales à 1 000 € pièce pour éviter de remplir des orphelinats. » Elle a redonné un espoir à des enfants des rues, offert un avenir à des enfants soldats, ouvert un cinéma à Ruyigi, bourgade perdue où elle est née « pour que les petits, Hutu ou Tutsi, regardent ensemble Kirikou ».
Ruyigi est une oasis avec une piscine, un hôtel restaurant et une ferme, ce qui fait bouillir la marmite. Tout cela grâce à elle et à ses nombreux amis. Dans le centre baptisé la Maison des anges, les gamins apprennent la mécanique ou la couture. Ils se forment à Internet. Nombre de ses protégés étudient aujourd'hui à l'université de Bujumbura ou à l'étranger. Chloë, sa première fille adoptive, est devenue médecin...
La Maison Shalom emploie 120 personnes. Les trois-quarts y ont été élevés. Les premiers pas ont été difficiles. « Des bébés dormaient dans des cartons d'ordinateurs. »Marguerite Barankitsé est née dans un milieu aisé, Tutsi et fille unique, très tôt orpheline. Elle a fait des études en Europe pour devenir institutrice. Sa vocation de mère adoptive est née le 24 octobre 1993, jour d'horreur. Des Tutsis, « des gens que j'aimais, des membres de ma famille, sont venus tuer des Hutus.
Je les aimais tout autant. » Elle les avait cachés dans le faux plafond d'une salle de l'évêché. Ils ont été dénichés puis massacrés les uns après les autres. Soixante-douze personnes sont mortes, certaines sous le regard de leurs propres enfants. Elle, ils n'ont pas osé la tuer, mais ils l'ont attachée pour qu'elle voit...Avant ce massacre, elle était déjà considérée comme traître pour avoir recueilli quatre petits Hutus protestants, elle, la Tutsi catholique. De quoi fâcher son fiancé et renoncer au mariage. Elle poursuit sa tâche sans relâche. Des militaires belges viennent de l'aider à édifier une maternité. « Chez nous, douze mamans sur cent meurent en couches. » Les coups de main viennent de partout.
« C'est une sacrée bonne femme », s'extasie un fantassin d'Électriciens sans frontières, après plusieurs séjours à Ruyigi.La sacrée bonne femme ne mâche pas ses mots. Elle supporte de moins en moins les conférences « bla-bla où l'on parle de la faim en Afrique autour de gros buffets. Combien d'argent gaspillé alors qu'on scolarise un enfant avec 50 € par an ? » Elle s'interroge sur le rôle des ONG quand le gros de l'argent passe dans des salaires et des 4X4. « Il y a trop de Voyous sans frontières », finit-elle par lâcher...Elle peste contre une Afrique attendant beaucoup trop de l'occident. « Des ministres trop nourris viennent quémander ici. Nous devons nous prendre en main pour nous en sortir. Il n'y a pas de fatalité.
Tous les pays du monde sont passés par des guerres. » Elle ouvre sa porte en grand. « N'envoyez pas de cahiers mais venez partager notre vie », lance-t-elle à des lycéens sous le charme. Elle se désole que tant de jeunes se sentent si mal en France.
« Quand j'ai vu ces troubles dans les banlieues je me suis dit qu'il fallait peut-être y créer des maisons Shalom. » Une boutade
Thierry BALLU.(1)
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