Le rapport, intitulé "La lutte contre les changements climatiques : la solidarité humaine dans un monde divisé", brosse un tableau sans complaisance de la menace que représente le réchauffement planétaire. Il fait valoir que le monde se rapproche d’un « point de basculement » qui risque d’entraîner les pays les plus pauvres de la planète et leurs citoyens les plus pauvres dans une spirale infernale, laissant des centaines de millions de personnes confrontées à la malnutrition, au manque d’eau, aux menaces écologiques, et à la perte de leurs moyens de subsistance.
http://hdr.undp.org/en/reports/global/hdr2007-2008/chapters/french/
De l'avis de Kemal Derviş, Administrateur du PNUD, en dernière analyse, le changement climatique représente une menace pour l’humanité dans son ensemble. Mais ce sont les pauvres, qui ne sont pas responsables de la dette écologique que nous accumulons, qui doivent en supporter immédiatement le coût humain le plus lourd.
Le rapport intervient à un moment clé des négociations visant à parvenir à un accord multilatéral pour l’après 2012—date à laquelle arrivera à terme la période d’engagement du Protocole de Kyoto. Il demande une approche jumelée qui conjugue mesures d’atténuation strictes pour limiter le réchauffement au 21ème siècle à moins de 2 degrés centigrades, et coopération renforcée pour l’adaptation.
S’agissant des mesures d’atténuation, les auteurs demandent aux pays développés de prendre les devants en réduisant les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 80 pour cent par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2050. Le rapport prône un cocktail de taxation des émissions, de programmes de « cap-and-trade » stricts, la réglementation de l’utilisation de l’énergie, et la coopération internationale pour le financement du transfert des technologies à basse émission de carbone.
En ce qui concerne l’adaptation, le rapport met en garde sur le fait que les inégalités en matière de capacité à s’adapter au changement climatique creusent de plus en plus les inégalités entre et dans les pays. Il demande aux pays riches de placer l’adaptation au changement climatique au cœur des partenariats internationaux pour la réduction de la pauvreté.
Kevin Watkins, l’auteur principal et directeur du Bureau du Rapport mondial sur le développement humain, déclare qu’il s’agit de lancer un appel à l’action, et pas de jouer les Cassandres. Il ajoute qu’en travaillant ensemble avec détermination, nous pouvons gagner la bataille contre le changement climatique. Laisser se ferme cette fenêtre d’opportunité représenterait un échec moral et politique sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Pour lui, les discussions de Bali sont une occasion unique de placer les intérêts des pauvres de la planète au cœur des négociations sur le changement climatique.
Le rapport contient des données scientifiques qui montrent de quelle manière les pauvres subiront l’impact écologique du changement climatique. Mettant l’accent sur les 2,6 milliards de personnes qui survivent avec moins de $2 par jour, les auteurs avertissent que les forces déchaînées par le réchauffement de la planète risquent de ralentir puis d’inverser les progrès accomplis de génération en génération. Parmi les menaces identifiées dans La lutte contre le changement climatique figurent :
- L’effondrement des systèmes agricoles de plus en plus exposés à la sécheresse, à l’augmentation des températures, et à des précipitations plus imprévisibles, entraînant 600 millions de personnes supplémentaires dans la malnutrition. Les zones semi-arides d’Afrique sub-saharienne parmi les plus pauvres du monde risquent d’enregistrer une diminution de 26 pour cent de leur productivité d’ici 2060.
- D’ici 2080, 1,8 milliards de personnes supplémentaires pourraient être victimes du stress hydrique, de vastes régions d’Asie du Sud et du nord de la Chine étant confrontées à une crise écologique grave liée au rétrécissement des glaciers et à la modification des précipitations.
- Le déplacement de 332 millions de personnes vivant dans les zones côtières et dans les zones de faible élévation du fait des inondations et des tempêtes tropicales. Plus de 70 millions de personnes vivant au Bangladesh, 22 millions au Vietnam, et six millions en Égypte, pourraient être touchées par des inondations dues au réchauffement de la planète.
- Les risques sanitaires émergents, avec 400 millions de personnes supplémentaires qui pourraient être exposées au paludisme.
Mettant en lumière les éléments de preuve rassemblés dans le cadre de récents travaux de recherche, les auteurs du Rapport mondial sur le développement humain font valoir que le coût potentiel du changement climatique pour l’homme a été sous-estimé. Ils relèvent que les chocs climatiques tels que les sécheresses, les inondations et les tempêtes, dont la fréquence et l’intensité vont augmenter avec le changement climatique, sont déjà des facteurs de pauvreté et d’inégalité parmi les plus puissants—et le réchauffement planétaire ne fera qu’en exacerber les effets.
Il est dit dans le rapport que pour des millions de personnes ces événements représentent un aller-simple pour la pauvreté et des cycles de handicap de longue durée. En plus de menacer des vies et d’infliger des souffrances, ils réduisent à néant le patrimoine, conduisent à la malnutrition et à la déscolarisation. En Éthiopie, le rapport constate que les enfants exposés à la sécheresse dans leur petite enfance ont 36 pour cent de chances supplémentaires de souffrir de malnutrition—soit 2 millions d’enfants mal nourris supplémentaires.
Le rapport se concentre certes sur les menaces immédiates qui pèsent sur les pauvres du monde, mais il met aussi en garde, affirmant que ne pas s’attaquer au changement climatique pourrait signifier une catastrophe écologique pour les générations futures. Il met en exergue le risque de réduction massive des manteaux glaciaires dans l’Antarctique occidental, de rétrécissement des glaciers, ainsi que de stress sur les écosystèmes marins, autant de menaces systémiques contre l’humanité.
M. Derviş ajoute que des incertitudes persistent bien entendu, mais que face à des risques d’une telle ampleur l’incertitude ne saurait justifier l’inaction. Des mesures d’atténuation ambitieuses sont le seul moyen de nous prémunir contre des risques potentiellement très importants. La lutte contre le changement climatique est notre engagement en faveur du développement humain aujourd’hui et consiste à créer un monde dans lequel nos enfants et leurs petits-enfants pourront vivre dans la sécurité écologique.
Éviter les changements climatiques dangereux
Les auteurs du Rapport mondial sur le développement humain demandent aux gouvernements de se fixer un objectif collectif afin d’éviter les changements climatiques dangereux. Ils prônent un seuil de 2 degrés centigrades au dessus des niveaux préindustriels (le niveau actuel se situe à 0,7 degrés centigrade).
S’inspirant d’un nouveau modèle climatologique, le rapport suggère un « budget d’émission du carbone pour le 21ème siècle » afin de ne pas dépasser ce seuil. Le budget estime le niveau total d’émissions de gaz à effet de serre compatible avec cet objectif. Dans le cadre d’un exercice visant à déterminer l’ampleur du défi à relever, le rapport estime que, toutes choses égales par ailleurs, le budget carbone mondial pour le 21ème siècle pourrait expirer dès 2032. Les auteurs avertissent que, au regard des tendances actuelles, le monde risque davantage de dépasser le seuil des 4 degrés centigrade que de rester dans la limite des 2 degrés centigrade.
Le Rapport mondial sur le développement humain aborde certaines des questions parmi les plus critiques auxquelles vont être confrontés les négociateurs à Bali. Tout en reconnaissant la menace que constitue l’augmentation des émissions des grands pays en développement, les auteurs font valoir que les gouvernements du nord doivent opérer une réduction profonde et immédiate des émissions. Ils indiquent que les pays riches portent la responsabilité historique du changement climatique, que leur bilan carbone est bien plus lourd, et qu’ils disposent des capacités financières et technologiques nécessaires pour agir.
M. Watkins ajoute que si les populations des pays en développement avaient généré des émissions de CO2 par habitant au même rythme que les populations d’Amérique du Nord, nous aurions besoin de l’atmosphère de neuf planètes pour faire face aux conséquences.
Sur la base d’un cadre illustratif de la trajectoire d’émissions qui permettrait d’éviter des changements climatiques dangereux, le Rapport mondial sur le développement humain suggère que :
- Les pays développés devraient réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 80 pour cent d’ici 2050 et de 30 pour cent d’ici 2020 par rapport aux niveaux de 1990.
- Les pays en développement devraient réduire leurs émissions de 20 pour cent d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990. Cependant, ces réductions auraient lieu à partir 2020 et elles seraient soutenues à travers la coopération internationale en matière du financement et du transfert des technologies à faible émission de carbone.
À partir de ces chiffres, les auteurs constatent que nombre des objectifs fixés par les gouvernements des pays développés restent en-deçà de ce qui est nécessaire. Ils notent également que la plupart des pays développés n’ont pas réussi ne serait-ce qu’à opérer les réductions modestes—en moyenne 5 pour cent par rapport aux niveaux de 1990—convenues au titre du Protocole de Kyoto. Selon le rapport, même lorsque des objectifs ambitieux ont été fixés, rares sont les pays développés qui se sont dotés de politiques énergétiques concrètes pour mettre en conformité leurs actes et les objectifs de sécurité climatique affichés.
Si l’on tient compte des perspectives d’émissions futures, les défis à relever n’en apparaissent que plus grands. Sur la base des tendances actuelles, les émissions de CO2 devraient augmenter de 50 pour cent d’ici 2030—un résultat qui rendrait le changement climatique dangereux inévitable. M. Watkins remarque que le problème est que le système énergétique mondial n’est en compatible avec les systèmes écologiques sur lesquels repose notre planète et ajoute que tout réalignement exigera un changement d’orientation radical de la réglementation, des mesures d’incitation, et de la coopération internationale.
La lutte contre le changement climatique définit les mesures de politique générale nécessaires pour combler le précipice entre les déclarations de sécurité climatologique et les politiques énergétiques menées pour éviter les changements climatiques dangereux. Parmi les plus importantes peuvent être citées :
- Le système de « cap-and-trade » ont un rôle à jouer. Relever progressivement les taxes sur le carbone serait un bon moyen de modifier les mécanismes d’incitation destinés aux investisseurs. Il souligne aussi que les taxes sur les émissions de carbone n’impliqueront pas nécessairement une charge fiscale plus élevée car elles pourraient être compensées par des déductions fiscales sur le revenu du travail.
- Des normes réglementaires plus strictes. Le rapport demande aux gouvernements d’adopter et de faire appliquer des normes plus strictes sur les émissions des véhicules, des bâtiments et des appareils électriques.
- Un soutien pour le développement de l’approvisionnement en énergie à faible émission de carbone. Le rapport met en avant le potentiel inexploité des énergies renouvelables utilisées, et des technologies de pointe telles le captage et le stockage du carbone (CSC).
- La coopération internationale pour le financement et le transfert de la technologie. Les auteurs notent que les pays en développement n’adhèreront pas à un accord qui n’offre aucune incitation et menace d’entraîner une augmentation du coût de l’énergie. Le rapport plaide en faveur de la création d’un Fonds d’atténuation des changements climatiques (FACC) pour financer chaque année, à hauteur de $25-50 milliards, les investissements supplémentaires pour les énergies à faible émission de carbone pour permettre la réalisation des objectifs partagés en matière de changement climatique.
Se fondant sur des travaux de modélisation économique, le Rapport mondial sur le développement humain avance que le coût de la stabilisation des gaz à effet de serre à des concentrations de 450 parties par million (ppm) pourrait se limiter, en moyenne, à 1,6 pour cent du produit intérieur brut (PIB) mondial d’ici 2030. M. Derviş avertit que si ces coûts sont bien réels, le coût de l’inaction sera beaucoup plus grand encore, que ce soit en termes économiques, sociaux ou humains. Le rapport indique que le coût des mesures qui permettront d’éviter un changement climatique dangereux représente moins de deux tiers des dépenses militaires annuelles actuelles.
Efforts d’adaptation négligés
Tout en insistant sur le rôle clé joué à moyen terme par l’atténuation, La lutte contre le changement climatique conseille de ne pas négliger l’adaptation. Le rapport indique que, même avec des mesures d’atténuation draconiennes, le monde n’échappera pas au réchauffement pendant la première moitié du 21ème siècle. Le rapport précise que l’adaptation est nécessaire pour empêcher que le changement climatique n’entraîne un recul significatif du développement humain – et se prémunir contre le danger bien réel de l’insuffisance des mesures d’atténuation.
Le rapport attire l’attention sur les inégalités extrêmes en termes de capacité d’adaptation. Les pays riches investissent des sommes considérables dans les systèmes de défense contre les changements climatiques, les gouvernements prenant les devant. À l’inverse, dans les pays en développement « les pauvres du monde sont abandonnés à leur sort, avec leurs maigres ressources », écrit Desmond Tutu, Archevêque émérite du Cap dans le rapport, ce qui crée « un monde caractérisé par un "apartheid de l’adaptation" ».
M. Watkins affirme que personne ne souhaite minimiser les réels défis écologiques à long terme que représente le changement climatique pour les pays riches. Mais, ajoute-il, les vulnérabilités à court terme ne sont pas l’apanage de Manhattan et de Londres, mais plutôt des zones du Bangladesh menacées par les crues et des régions d’Afrique sub-saharienne menacées par la sécheresse.
Le Rapport mondial sur le développement humain montre que la coopération internationale en matière d’adaptation a été lente à voir le jour. Selon le rapport, le total des dépenses en adaptation consenties par le biais des mécanismes multilatéraux s’élève à ce jour à $26 millions—environ l’équivalent d’une semaine de dépenses pour les systèmes de défense face aux inondations du Royaume-Uni. D’après les auteurs, les mécanismes actuels offrent un financement modeste et présentent des coûts de transaction élevés.
Le rapport prône notamment les réformes suivantes :
- Un financement supplémentaire pour les infrastructures contre les changements climatiques et pour la résistance des bâtiments, les gouvernements du nord devant allouer au moins $86 milliards par an d’ici 2015 (environ 0,2 pour cent de son PIB).
- Un soutien international accru pour le renforcement de la capacité de surveillance météorologique de l’Afrique sub-saharienne et l’amélioration de l’accès public aux informations météorologiques.
- L’intégration de la planification de l’adaptation dans les stratégies de réduction de la pauvreté et des inégalités extrêmes, y compris dans les documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté.
La lutte contre le changement climatique conclut qu’une des plus rudes leçons que nous enseigne le changement climatique est que la croissance économique historiquement dépendante de fortes émissions de carbone, et la consommation effrénée des nations riches qui l’a accompagnée, sont écologiquement insoutenables. Mais les auteurs estiment que « si l’on procède aux réformes nécessaires, il n’est pas trop tard pour ramener les émissions de gaz à effet de serre à des niveaux tolérables, sans pour autant sacrifier la croissance économique : la prospérité croissante et la sécurité climatique ne sont pas des objectifs contradictoires ».
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À PROPOS DU PRÉSENT RAPPORT : Le Rapport mondial sur le développement humain continue d’encadrer le débat sur certains des défis parmi les plus urgents auxquels est confrontée l’humanité. Il s’agit d’un rapport indépendant commandé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Kevin Watkins est l’auteur principal du rapport 2007/2008, lequel contient des contributions spéciales du Secrétaire général des Nations-Unies Ban Ki-moon, du Président du Brésil Luiz Inácio Lula da Silva, du Maire de New-York Michael R. Bloomberg, de la militante contre le changement climatique Sheila Watt-Cloutier, de la Présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement et ancienne Premier Ministre de la Norvège Gro Harlem Brundtland, de l’Archevêque émérite du Cap Desmond Tutu, et du Directeur du Centre for Science and Environment Sunita Narain. Le Rapport est traduit dans plus de douze langues et lancé dans plus de 100 pays chaque année. Pour de plus amples informations, consulter le site http://hdr.undp.org/en/reports/global/hdr2007-2008/. Le Rapport mondial sur le développement humain 2007/2008 est publié en français par La Découverte.