A Bali, les Etats de la planète vont se retrouver au chevet du traité de Kyoto. Ils auront devant eux un patient cliniquement mort. Sa courbe de vitalité se lit dans celle du prix de la tonne de carbone. Après s'être échangée à plus de 40 euros, cette même tonne s'échange depuis février à moins d'un euro.
C'est donc un indice que le droit d'émettre du CO2 ne vaut plus grand-chose et que les industriels européens qui participent à la bourse d'échange Powernext dépensent peu d'argent pour s'acheter des droits supplémentaires «à» polluer.
A ce stade, le marché a tranché: Kyoto est un échec sévère et n'a eu quasiment aucun effet sur le niveau des émissions des pays. Les dernières statistiques sur les émissions de gaz à effet de serre montrent d'ailleurs que la tendance générale ne s'est pas inversée; au contraire même, globalement, le rythme des émissions s'accélère.
Si l'échec du processus de contrainte initié par l'Union européenne est patent, il n'a pourtant rien de dramatique. Et pourrait même être salutaire. Car on connaît fort bien les raisons qui sont à l'origine de la débâcle du prix de la tonne de carbone. La première tient à la politique des Etats qui ont alloué gratuitement trop de quotas de production. Dans les faits, ils ont cédé aux jérémiades des producteurs d'électricité et grands industriels. Trop peu ont choisi de mettre les droits aux enchères pour induire une réelle concurrence marchande qui permette d'initier un mécanisme vertueux.
Plus le prix de la pollution augmente, plus les pollueurs sont incités à changer de procédé pour ne pas payer des quotas qui jouent le même rôle qu'une taxe C02. Mais même si les Etats et l'Union européenne avaient été irréprochables, le mécanisme était vicié dès le départ par l'incurie de l'ONU, chargée d'administrer les échanges de droits de polluer entre pays riches et pays en développement.
Des groupes industriels européens ont compensé leurs émissions en achetant des certificats en Chine et en Inde. Dans un très grand nombre de cas (dans 40% des cas, selon une étude allemande récente), ces compensations ont été purement virtuelles et n'ont en réalité abouti à aucune amélioration environnementale. Plus grave peut-être, plutôt que d'interdire certains procédés industriels désuets, des industriels européens ont financé à prix d'or de nouvelles usines, totalement inutiles.
On cite le cas du trifluoromethane, un gaz industriel qui a un effet de serre 12000 fois supérieur au CO2 dont on sait éviter la production par un procédé technique peu coûteux mais pour lequel les Chinois toucheront des milliards. Selon le professeur Michael Wara de l'Université de Stanford, les pays occidentaux auront versé à la Chine quelque 12 milliards de dollars d'ici à 2012 alors qu'un simple investissement... de 136 millions de dollars aurait suffi.
En Allemagne ou au Danemark, les compagnies électriques ont facturé le coût du C02 aux consommateurs alors même que l'on soupçonne ces mêmes sociétés d'avoir en réalité réaliser dans l'échange de leurs droits de polluer de juteux profits. Et ne parlons même pas des fameuses forêts replantées pour séquestre du CO2 mais dont personne ne semble se soucier du jour où l'on coupera ces mêmes arbres.
La gabegie sur le marché des échanges du CO2 aurait pu être évitée si l'on avait décidé d'instaurer d'emblée une taxe qui a l'avantage d'être immédiate et transparente. Mais cette taxe, les Etats, pour des raisons d'acceptabilité politique, n'en veulent pas: ils préfèrent transférer les droits de propriétés des émissions aux émetteurs. Si les quantités de droits de polluer sont adéquates et diminuent au gré des évolutions techniques, le prix de la tonne de CO2 va grimper et au final aura le même effet qu'une taxe. Mais le mécanisme n'est vertueux que si le marché est transparent et si les acteurs savent que les prix vont grimper inexorablement au fil des années.
L'Union européenne promet de mettre de l'ordre dans les nouveaux quotas pour la période 2008-2012 et d'introduire un mécanisme de mise aux enchères. Les Etats-Unis planchent sur un système comparable et qui prévoit d'obliger les importateurs à y participer, histoire d'obliger la Chine de participer à l'effort mondial. Ce sera d'ailleurs tout l'intérêt des négociations de Bali: les grands pays industriels vont se coaliser pour contraindre les géants chinois, indien et brésilien à accepter un mécanisme de taxation flexible du CO2, en échange sans doute de transferts financiers et technologiques.
Dans Scientific American, les chercheurs David G. Victor Danny Cullenward considèrent que le meilleur instrument économique pour parvenir à une réduction des gaz à effet de serre est une taxe; les droits de polluer sont administrativement et économiquement beaucoup plus compliqués et susceptibles d'être manipulés; à défaut de pouvoir instaurer une taxe, la gouvernance des mécanismes d'échanges et de transferts des quotas/certificats doit être irréprochable et confiée à des entités politiques fortes.
Et ils avertissent: sans taxe CO2 élevée, il est probable qu'il faudra subventionner les technologies propres. Car même si les Etats-Unis avaient appliqué le plan européen, les mauvaises centrales à charbon seraient encore et toujours économiquement les plus rentables. C'est le paradoxe: ceux qui s'opposent à une taxe CO2 plaident en réalité pour l'instauration de subventions dont les défauts économiques sont bien connus.