Le cauchemar de Darwin est la dernière réalisation d’Hubert Sauper sorti en salle le mercredi 2 mars en France. Le réalisateur autrichien montre cette fois une face peu connue de a Tanzanie : celle où les Européens échangent leurs armes contre de quoi remplir leurs assiettes. Ce documentaire alarmant à la construction narrative réussie est l’allégorie d’une mondialisation aux conséquences toujours plus aberrantes
On achève bien les poissons. Le cauchemar de Darwin, sorti en salle mercredi 2 mars en France, est la dernière réalisation de l’Autrichien Hubert Sauper, qui s’était fait connaître du grand public avec Kisangani Diary’s, en suivant le périple de réfugiés rwandais au Congo.
Cette fois-ci, Hubert Sauper part explorer la réalité chaotique des rives du lac Victoria en Tanzanie, où un poisson d’exportation, apporté par les Européens, a ravagé la faune et dont la production sert de monnaie d’échange contre des armes. Habilement construit, ce documentaire récompensé par plusieurs prix, s’offre comme l’allégorie d’une aberrante mondialisation où les armes transitent via Mwanza, tandis que les filets de perche partent pour l’Europe.
La « Perche du Nil » antéchrist européen du lac Victoria
Il y a encore une cinquantaine d’années, la région des Grands Lacs, riche et fertile, offrait une exceptionnelle vie sauvage faisant la fierté de ses parcs nationaux. Dans les années soixante pourtant, la « Perche du Nil » fut introduite dans le lac Victoria à titre d’expérience scientifique. Ce prédateur vorace a ravagé en quelques années tout un écosystème, en décimant peu à peu toutes les autres espèces aquatiques. De son développement rapide est apparu un commerce florissant voué dans sa totalité à l’importation européenne, alors que la population locale tente de survivre avec moins d’un euro par jour. C’est à partir de ce constat que le réalisateur autrichien rebondit sur la question d’un trafic alimenté par les Européens, qui échangent autant de tonnes d’armes et de munitions que de poisson qu’ils importent. Hubert Sauper a choisi d’illustrer ainsi toute l’aberration d’un nouvel ordre mondial darwiniste, où la loi du plus fort est toujours la meilleure.
« Le cauchemar de Darwin » est un véritable coup de force lorsque l’on songe aux conditions périlleuses dans lesquelles le projet cinématographique de Sauper (son plus long métrage jusqu’à présent) a été réalisé. Un film tourné dans une inconfortable clandestinité, nourri de patience et payé en pots de vins, puisque le documentariste et son compagnon de route ont dû cacher leur activité devant les autorités. Et pourtant la caméra porte un oeil qui a su saisir l’intimité de ces quelques « personnages », sorti de leur anonymat pour devenir le temps d’un documentaire les visages d’acteurs, témoins, ou victimes d’un cruel théâtre.
Galerie d’acteurs du réel
Ils sont aviateurs ukrainiens, prostituées tanzaniennes, ex-militaire, artiste-peintre, enfants des rues, industriels locaux, pêcheurs ou délégations institutionnelles zélées. Autant d’individus dont on connaît, le temps d’un récit, les prénoms, et qui évoluent au milieu d’une valse funèbre, celle des démons de l’Afrique : famine, VIH, massacres. La construction du Cauchemar de Darwin, qui offre intrigue et rebondissements, témoigne d’une véritable évolution dans la narration et évite de tomber dans l’écueil du simple didactisme. Le regard du cinéaste qui ne perd pas de vue l’essentielle question du trafic d’armes, réussit à s’attarder avec pudeur sur la complexité d’un cruel système, où victimes et bourreaux finissent par se confondre, au rythme de la caméra, dans un identique désespoir.
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