Iberdrola prépare sa défense en sollicitant son compatriote Gas Natural et en réclamant l’intervention de l’autorité de régulation. Jusque là, EDF avançait masqué dans sa stratégie de conquête du marché espagnol. Le groupe dirigé par Pierre Gadonneix profitait à plein de l’affaire Kerviel qui avait le mérite d’accaparer toute la lumière médiatique.
Et puis, la pression autour de la Société Générale s’est faite moins forte, si bien que les manœuvres du champion électrique français ont commencé d’émerger en occupant l’espace. Tant et si bien du reste qu’EDF a été forcé d’admettre vendredi à la demande de l’AMF ibérique (la CNMV) qu’il avait effectivement noué des contacts avec le groupe de BTP espagnol ACS dans le but de s’emparer de son concurrent Iberdrola, le n°4 de l’électricité en Europe en capitalisation boursière. En cas de succès, le tandem se partagerait alors les dépouilles de sa "proie".
Mais de son côté, le groupe dirigé par Ignacio Sanchez Galan organise la contre-attaque. Il chercherait le soutien de son compatriote Gas Natural, le premier groupe gazier local, longtemps empêtré dans la bataille pour le contrôle du n°1 de l’énergie Endesa, croit savoir le quotidien elEconomista. De là, deux options d’après le journal : soit une fusion Iberdrola/Gas Natural, soit le second prendrait 30% du premier. En attendant, Iberdrola a décidé de jouer la carte réglementaire en demandant à l’autorité de régulation du secteur, la CNE, de bloquer l’éventuelle montée dans son capital d’ACE, son 1er actionnaire avec 7,7% en propre et muni d’une option portant sur 5,2% supplémentaires. A Paris, l’action EDF reculait de 1,7% vendredi.
Iberdrola ? Une opportunité devenue une priorité
Pour l’heure, le duo EDF-ACS en est à une phase « exploratoire » selon l’expression du français en vue de concilier leurs « intérêts respectifs ». Il n’y a donc pas de schéma arrêté. Mais il ne faut pas s’y tromper : EDF a fait d’Iberdrola une priorité hors de son marché domestique. C’est pour lui une opportunité à ne pas laisser filer, alors qu’il détient déjà des positions avantageuses sur les autres grands marchés européens : en Allemagne avec ses 45% dans EnBW, en Italie avec Edison et au Royaume-Uni avec EDF Energy.
EDF a les moyens de ses ambitions. Ne s’est-il pas engagé l’an dernier à investir 40 milliards d’euros sur la période 2006-2010 ? En consacrant 12 milliards à la construction et la rénovation de son parc nucléaire ainsi que de son réseau de lignes à haute tension, puis 6 milliards au développement de ses filiales européennes, et encore 8 milliards aux services à l’énergie et au renforcement de ses approvisionnements en gaz et à l’éolien, le groupe disposera toujours d’une enveloppe de 14 milliards pour sa croissance externe. Sachant qu’Iberdrola pèse actuellement 50 milliards en bourse.
Sur le papier, cette piste espagnole semble a priori plus intéressante que son pendant en Allemagne avec l’opérateur RWE, même si, « pour EDF les chemins de la concentration dans les utilities ne passe pas forcément par ces deux cibles » relève pour L'Expansion.com un spécialiste dans la problématique des changements climatiques. C’est qu’Iberdrola présente un bilan carbone (comptabilisation des gaz à effets de serre) nettement meilleur que l’allemand. « Ce qui n’est pas négligeable dans une optique à long terme, quand on sait qu’à partir de 2013 les énergéticiens devront acheter des certificats carbone. N’oublions pas aussi qu’EDF est également en pole sur ce point grâce à ses capacités nucléaires » ajoute-t-il. « L'un peut ainsi se targuer d'un 9/10 en émissions de dioxyde de carbone quand l'autre se traîne à 1/10» fait valoir Perrine Dutronc de chez Innovest, une agence de recherche en investissement qui a mis au point une notation spécifique, le carbone béta. Et puis le groupe espagnol est numéro un mondial dans l’éolien. « Là encore, une présence forte dans l’éolien confère un avantage compétitif pour les multinationales qui s’évertuent à "décarboner" leur énergie, c’est-à-dire qu’elles s’efforcent de limiter leurs émissions de CO2 ».
D’un point de vue tactique, enfin, on ne peut occulter le fait que l’option Iberdrola permettrait à Pierre Gadonneix de gagner du temps et donc de garder son poste, l’un des plus convoités de la place de Paris. « Le dossier Endesa a duré deux ans alors on peut parfaitement tabler sur 18 mois pour Iberdrola » déclarait-il ainsi il y a peu. L’opération pourrait en effet s’enliser. Car elle demeure très politisée.
Du côté français, « l’arbitrage échappera à l’avenue de Wagram (ndlr le siège parisien) et sera aux mains de l’Elysée ou de Bercy » confie à L’Expansion.com un spécialiste du secteur. Côté espagnol, la proximité des élections législatives (le 9 mars) brouille les jugements. Nul n’a oublié deux ans durant le psychodrame de l’interminable feuilleton du rachat d’Endesa, finalement tombé aux mains de l’italien Enel associé pour l’occasion à un autre groupe de BTP espagnol, Acciona. « Je pense qu’il ne peut y avoir d’issue que sur la base d’une offre amicale, note pour L’Expansion.com Pierre-Marie Sgard, un observateur indépendant qui connaît bien les problématiques de l’énergie. EDF saura se souvenir du précédent Edison où le groupe s’était heurté à la résistance du gouvernement. Il ne faut pas se leurrer. La dérégulation totale du marché prônée par Bruxelles s’accompagne mécaniquement d’une montée des fiertés nationales. Il convient de ménager les susceptibilités des uns et des autres ».