L'envolée des prix des céréales a permis aux producteurs français de doubler leurs revenus en 2007. Mais cette embellie ne doit pas masquer une situation tendue depuis plusieurs années. Et le risque d'une future baisse des prix mondiaux n'est pas à exclure.
Aussi, aux yeux du monde agricole français, l'Union européenne doit maintenir une politique agricole commune (PAC), même si elle doit nécessairement évoluer.
A eut payé, mais ça paye plus ! " La rengaine du sketch acide de Fernand Raynaud ironisant jadis sur la richesse des agriculteurs est-elle toujours de mise ?
En 2007, les producteurs français de " grains " (blé, maïs, orge, avoine...) et d'oléoprotéagineux (colza, tournesol, soja, pois...) ont indéniablement connu une année faste. Selon les estimations du ministère de l'Agriculture, leurs revenus ont bondi de 98 %, après avoir progressé de 9 % par an, en moyenne, entre 2003 et 2006.
Mais les statistiques sont trompeuses. Si les céréaliers de la Beauce, rendus célèbres par le roman de Zola La Terre, bénéficient de la proximité du port de Rouen pour acheminer leurs productions et de la diversification vers des cultures à valeur ajoutée (pommes de terre, haricots verts, betteraves), la situation est plus contrastée. Dans les zones dites intermédiaires, qui regroupent les terres de la Bourgogne, du sud de la région Centre et se prolongent vers le Poitou-Charentes et le Sud-Ouest, les céréaliers sourient lorsqu'on les présente comme les " nouveaux seigneurs de la terre ". " Mon résultat d'exploitation est passé de 100 euros à 200 euros par hectare l'année dernière. Mais en euros constants, mes revenus de 2007 sont égaux à ceux de 1988 ", tempère Jacques de Loisy, qui, avec son frère, exploite en Côte-d'Or210 hectares (blé, orge et colza). L'or vert n'est pas encore au niveau de l'or noir !
RENCHERISSEMENT DES COUTS
Et si tous les céréaliers ont vu leurs revenus progresser, tous ont aussi fait face à un renchérissement de leurs coûts de production liés à la hausse conjuguée du pétrole, des engrais et des machines agricoles. Un impact qui ne devrait pas faiblir à l'avenir... " Selon les postes, ils ont augmenté de 20 % à 30 % ", précise Jean-Marie Chedru, qui exploite dans l'Allier 410 hectares (blé, colza, tournesol, seigle). Lui aussi a doublé ses revenus annuels, passés de 15.000 euros à 30.000 euros. " Mais cela ne fait que 2.500 euros par mois, ce n'est pas suffisant pour faire vivre ma famille de cinq enfants ", raconte-t-il. Sa femme a dû trouver un emploi à l'extérieur pour obtenir le complément de revenus nécessaires. " L'excédent dégagé grâce à la hausse des cours permet de reconstituer les trésoreries ", constate Benoît Labouille, analyste chez le consultant Offre et Demande agricole. Il y a encore deux ans, l'aide financière fournie par la politique agricole commune (PAC) constituait plus de 100 % des revenus de l'agriculteur.
Pourtant les perspectives s'annoncent plutôt bonnes. " 2008 devrait confirmer 2007. Les producteurs français profitent d'une situation structurellement bénéfique ", juge Benoît Labouille. Depuis 2000, les stocks mondiaux de blé ont fondu de 200 millions de tonnes à 110 millions de tonnes, selon le Conseil international des céréales (CIC). Et, toutes céréales confondues, les réserves devraient se maintenir autour de 244 millions de tonnes à la fin de l'année, contre 329 millions de tonnes en 2005. Ce niveau rend nerveux nombre d'acheteurs à travers le monde, inquiets pour leur approvisionnement. Ainsi à Chicago, premier marché mondial des céréales, les cours moyens du blé, du soja et du maïs ont, l'an passé, progressé respectivement de 77 %, 75,4 % et 17 %.
Dans le même temps, on assiste à une augmentation des besoins à travers la planète, sous l'impulsion de la Chine et de l'Inde. Pour le blé, 2005 avait déjà marqué un record de consommation tant humaine qu'animale (le blé se substitue au maïs dans l'alimentation animale en Europe, quant il faut arbitrer entre leurs prix). Et la demande mondiale de maïs va atteindre un record cette année, à 770 millions de tonnes contre 720 millions de tonnes en 2007.
Par ailleurs, les biocarburants, un débouché de plus en plus gourmand, consomment désormais une part des cultures de maïs et de colza, avec un effet inflationniste sur leurs cours. " La production d'éthanol aux États-Unis absorbait 41 millions de tonnes en 2004. En 2007 c'était 81 millions de tonnes et, pour la récolte 2008, ce sont plus de 100 millions de tonnes qui sont prévues ", explique Benoît Labouille. D'autres raisons plus conjoncturelles expliquent la hausse, comme la sécheresse au Maroc, en Australie, ou encore les gelées en France et en Argentine.
Pourtant, la prudence, proverbiale dans le monde agricole, reste de mise. D'ores et déjà, les prix élevés ont conduit à une augmentation de 3 % des surfaces dédiées au blé, indique le CIC. " L'agriculture dépend du climat ", rappelle Jacques de Loisy, un facteur par définition difficile à prédire. Si la prochaine récolte mondiale est bonne, avec le retour de l'Ukraine et de l'Australie sur le marché international, les cours pourraient repartir à la baisse. " À 150 euros la tonne de blé, on tourne, mais c'est à 180 euros que l'on peut développer l'exploitation ", avance Jacques de Loisy. Cet avis sur le niveau de prix est partagé par l'ensemble de ses collègues.
Cette hantise de la surproduction pousse les agriculteurs à défendre la nécessité de la PAC. " Bruxelles utilise l'argument de la hausse des prix des céréales pour dire qu'il ne faut plus d'aide ", remarque Jacques de Loisy. " Une libéralisation totale de la PAC serait une catastrophe. Sans elle, ce ne serait pas possible, les charges sont lourdes par rapport à nos concurrents ", renchérit Paul-Henri Doublier, qui cultive 120 hectares (blé dur et tendre, maïs, pois, colza...) en Eure-et-Loir. Dans ces conditions, la méfiance à l'égard de la volonté de dérégulation de Bruxelles n'est pas sans fondement. Selon le ministère de l'Agriculture, le montant perçu par les agriculteurs français pour l'exercice 2007 via la PAC s'élève à plus de 7 milliards d'euros. C'est 3 % de moins qu'en 2006. Avec l'envolée des prix des céréales, cela contribue à diminuer la part des soutiens dans le revenu. De 77 % en moyenne en 2006, ils seraient passés à 67 % en 2007.
OUVERTS A LA REFORME
Pour autant, les producteurs sont ouverts à la réforme. " La PAC doit évoluer, car l'agriculture est complètement intégrée à la mondialisation. Mais le soutien doit être moins corrélé à la production qu'à des demandes sociétales, par exemple liées à l'environnement. Elle devrait par exemple nous fournir des instruments de gestion de crise climatique, sanitaire et commerciale " , argumente Jean-Marie Chedru. La Commission européenne semble prendre conscience de l'importance de ces problèmes, car la flambée des cours a posé avec une certaine acuité la nécessité d'une production mondiale suffisante pour répondre aux besoins des hommes, des animaux et... des automobiles.
S'OCCUPER DE LA COMMERCIALISATION
Aujourd'hui d'ailleurs le marché n'est plus perçu avec la même méfiance qu'antan. " Incontestablement, de nombreux producteurs ont compris la nécessité de s'occuper directement de la commercialisation de leurs céréales et oléagineux, en se formant à la maîtrise des instruments de couverture sur les marchés à terme. Ils peuvent ainsi comprendre les raisons de la hausse ou de la baisse des cours, et donc gérer plus facilement les fluctuations ", explique Benoît Labouille. Certains producteurs souhaitent même s'émanciper de la tutelle politique, dont ils considèrent les approches fondées sur une courte vue. " Les aides ne sont plus liées au marché ", constate Jean-Marie Chedru, qui s'implique dans la commercialisation, en cherchant le client. Cette attitude est de plus en plus fréquente, signe que l'on assiste à un changement de génération, la nouvelle étant mieux formée et davantage ouverte au monde.
Toutefois, prendre des positions sur le marché à terme n'est pas sans danger. La forte volatilité des prix reflète une certaine tension, les investisseurs réagissant vivement à la moindre nouvelle, bonne ou mauvaise. " L'instrument du marché à terme n'est pas suffisant, vous pouvez jouer sur la volatilité mais cela n'inversera pas une tendance " , estime Pascal Hurbault, de l'Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB). L'information liée au prix ne réflète pas nécesserairement la complexité des diverses situations, comme celle de Paul-Henri Doubier, qui se couvre via sa coopérative, à laquelle il confie sa récolte : " Mon premier débouché, c'est l'alimentation animale. Si les prix sont trop élevés, les élevages seront délocalisés. " Au-delà des apparences, les prix élevés ne sont pas non plus une panacée à long terme pour le monde agric ole !
ROBERT JULES
Lien permanent vers cet article : http://www.latribune.fr/info/20080207U7BKSZ6