À l'exception de l'Europe, le monde se réarme. Les dépenses militaires dépassent les 1.200 milliards de dollars. La région Asie-Pacifique devient un des grands marchés d'exportation. Les pays du Moyen-Orient profitent de la manne pétrolière pour acheter des matériels high-tech. Si les grands pays exportateurs, États-Unis en tête, restent dominants, ils se voient concurrencés par de nouveaux arrivants, comme la Chine et l'Inde.
Tous les pays se réarment, sauf l'Union européenne. Le marché des ventes d'armes reste largement dominé par les États-Unis.
Les principaux exportateurs d'armes dans le monde |
Venu du détroit de Malacca (sud-est de l'Asie), un vent chaud fait claquer les drapeaux rouge et blanc impeccables de la République de Singapour, hissés pour la première fois à l'arrière des trois frégates polyvalentes Delta (Intrepid, Steadfast et Tenacious), mises en service début février par la Navy de la ville-État. Grande fierté des marins et de Singapour, ces trois navires " high-tech " et surarmés, dotés de missiles de la dernière génération (Aster 15 et Harpoon notamment), feraient le bonheur de la Marine française. Mais cette dernière n'a pas les moyens de s'offrir ces bijoux technologiques, pourtant dérivés des frégates françaises La Fayette. La Navy singapourienne, elle, s'en est offert six exemplaires, livrés notamment par DCNS et son partenaire local, le chantier naval ST Marine.
Pour les experts, le dimensionnement du programme pour ce petit pays de 647,8 kilomètres carrés laisse perplexe. Pour Singapour, la question ne se pose même pas. L'acquisition des six frégates vise notamment à assurer la sécurité le long du détroit de Malacca, où ont lieu de nombreux actes de piraterie. L'île voit passer chaque jour près de 50 % du pétrole transporté entre le Moyen-Orient et l'Asie. " La liberté et la sécurité de navigation sont vitales pour notre survie même, pour la sécurité et le succès de Singapou r, estimait ainsi le ministre de la Défense, Teo Chee Hean, à l'occasion de la cérémonie officielle. Ces frégates contribueront significativement à la défense de Singapour et à la protection de ses lignes de communication maritimes. " Sur la période 1996-2006, Singapour est le dixième importateur mondial, note-t-on au ministère de la Défense. Cet effort militaire est loin d'être isolé. C'est toute la région Asie-Pacifique qui se réarme à grande vitesse. Les budgets de défense y progressent de 5 % à 8 % par an, relevait Joe Song, vice-président pour l'international de la branche défense de Boeing, à la veille de l'ouverture du Salon aéronautique et de défense de Singapour. À l'avenir, la région " continuera à être un marché clé ", assurait-il.
ENVOLEE DES DEPENSESAU MAGHREB
À l'image de l'Asie-Pacifique, la plupart des pays de la planète augmentent à vue d'oeil leurs dépenses militaires. Tous, sauf les pays de l'Union européenne (UE), dont la France. En 2006, elles se sont élevées à 1.204 milliards de dollars, selon le Sipri (Stockholm International Peace Research Institute), qui fait référence en la matière. Soit 2,5 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Ce montant n'avait plus été atteint depuis 1988, époque de la fin de la guerre froide. Cela représente une hausse des dépenses de 3,5 % par rapport à 2005 et de 37 % entre 1997 et 2006. " Tous les pays dépensent en matière d'armement sauf l'Europe ", regrette-t-on à Paris dans les cercles industriels et politiques à la veille de la publication redoutée du Livre blanc sur la défense (voir ci-dessous).
Dans la région Asie-Pacifique, l'Inde, la Chine, le Japon, l'Australie rivalisent dans leurs dépenses militaires. Au Moyen-Orient, tous les pays à l'exception du Qatar, profitent de la manne pétrolière et gazière pour renforcer leurs forces armées. C'est aussi le cas au Maghreb, où l'Algérie, la Libye et le Maroc sont les principaux artisans de l'envolée des dépenses dans la région. Les pays d'Amérique du Sud augmentent également leurs dépenses militaires, même si cela est de façon plus modeste.
Dans ce contexte d'escalade, les ventes d'armes se sont envolées. Entre 1996 et 2005, les livraisons mondiales d'armes s'étaient stabilisées autour de 55 milliards d'euros. En 2006, le volume des livraisons a grimpé à 67 milliards. Soit un bond de 21,8 %. " Cette progression correspond à des acquisitions d'armements de nouvelle génération qui sont des matériels plus sophistiqués et donc plus chers qu'auparavant , explique-t-on à Paris. En 2006, le marché de l'occasion s'est essoufflé alors qu'il a été soutenu pendant la période 1996-2005. " Pour 2007, la tendance reste toujours à la hausse. Thales confirme le grand retour de l'exportation dans le domaine de la défense. " 2007 a été une bonne année, a affirmé en janvier Denis Ranque, son PDG. Toutes lesrégions du monde accroissent leureffort, à l'exception de l'Europe."
HAUTES TECHNOLOGIES
Seul un petit cercle de pays se partagent aujourd'hui encore le marché de l'armement à l'exportation. Entre 1996 et 2006, cinq grands pays exportateurs réalisaient 90 % des ventes mondiales : États-Unis, Royaume-Uni, Russie, France et Israël. En 2006, ils ont accaparé 88 % des exportations mondiales. Les États-Unis se sont taillé la part du lion, avec 55 % des exportations mondiales, suivis de leur fidèle allié, le Royaume-Uni(14 %) et de la Russie (9,6 % et 8 % sur la période 1995-2006), dont les ventes d'armes progressent régulièrement depuis 2000 (voir ci-contre). Au quatrième rang, la France (5,9 %), est talonnée par Israël (5,3 %). Très présente dans le domaine de l'électronique, des drones et des missiles tactiques, l'industrie israélienne est un concurrent actif, en particulier en Asie, notamment à Singapour et en Inde, où il est le deuxième fournisseur des forces armées, et en Europe de l'Est. Mais des nouveaux venus comme l'Afrique du Sud, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, le Pakistan et l'Inde commencent à marcher sur leurs plates-bandes et grignotent des parts de marché. Parallèlement, cinq pays ont acheté un tiers des armes exportées (Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Inde, Grèce et Turquie).
Tous les observateurs prédisent que le marché de l'armement va rester sur une pente ascendante. Notamment avec le renouvellement de certains grands équipements, dont les flottes d'avions de combat. Mais aussi en raison de nouvelles stratégies. Les états-majors ont repensé leurs équipements à la suite des conflits au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. À la place des chars, des hélicoptères d'attaque, les stratèges privilégient aujourd'hui " des matériels beaucoup plus mobiles et aérotransportables " .
La France maintient ses commandes
En dépit d'un mauvais premier semestre, le montant des commandes à l'exportation de l'industrie d'armement française va se maintenir autour de 5,5 milliards d'euros, à peu près au même niveau qu'en 2006 (5,74 milliards d'euros). Ce montant a été obtenu sans la signature de très grands contrats. Ce qui démontre la vitalité des groupes français. Toutefois, l'importance de ces contrats ne doit pas être occultée : ils offrent aux industriels la possibilité d'engranger par la suite un flux de commandes lié à l'achat de pièces de rechange, de services et de contrats de maintenance opérationnelle. Pour 2008,le ministère de la Défense table entre 5 et 6 milliards d'euros de ventes à l'export. La DGA vise dans quelques années entre8 et 10 milliards d'euros,soit autant que les commandes nationales, avait estimé en septembre 2007 Jacques de Lajugie, chargé du soutien à l'exportation.
MICHEL CABIROL