Le premier roman de Stéphane Audeguy, « la Théorie des nuages », mêle une érudition légère et un sens de la narration impressionnant. Une oeuvre ambitieuse et splendide qui embrasse le monde, ses deux derniers siècles et le tragique de l’homme.
Le premier roman est devenu en France un genre en soi. La machine économico-médiatique est parvenue à le faire passer pour une catégorie littéraire spécifique, bénéficiant ainsi d’une promotion particulière, la chair fraîche des nouveaux auteurs constituant une valeur spectaculaire non négligeable.
Trop peu nombreux sont les premiers romans à réconcilier avec le premier roman. La Théorie des nuages, de Stéphane Audeguy, est de ceux-là, d’autant plus valeureux qu’il cumulait un handicap supplémentaire : le recours à une érudition scientifico-historique, donnant généralement lieu à des enquêtes un peu vaines et lassantes. Bien que très réelle, mais sans aucune lourdeur démonstrative, peut-être imaginaire en partie, cette érudition tient ici un rôle presque métaphorique, sa teneur et sa signification touchent davantage au poétique qu’au didactique. Le présumé handicap se révèle être une des plus belles réussites de ce roman, dont les charmes sont nombreux et le désespoir irréductible.
Si la Théorie des nuages est son premier roman publié, il est peu probable que Stéphane Audeguy n’ait rien écrit précédemment. Notamment, ses talents de conteur impressionnent pour une « première ». Stéphane Audeguy maîtrise les rythmes narratifs, sait ce que signifie une situation dramatique, et ses chutes ne laissent pas indifférent. Mais savoir raconter des histoires n’a jamais suffi à produire de la littérature. La Théorie des nuages en contient plusieurs, enchâssées comme des poupées gigognes, se répondant les unes aux autres, ou plus exactement entrant en résonance, pour former comme un hymne aux chercheurs d’absolu, une épopée où la course aux chimères prend des allures existentielles. Dès lors, le savoir-faire du conteur accède à une autre dimension. D’autant que la phrase de Stéphane Audeguy, d’une facture élégante et classique, parfois ironique, n’est jamais sèche ni abstraite. Un exemple : « Il règne sur Paris une chaleur de serre, légèrement méthanée, écoeurante comme les effluves d’une étable. »
Ces histoires ? La première, le fil rouge du roman, réunit, au cours de l’année 2005, un styliste japonais de près de 70 ans, Akira Kumo, et une jeune bibliothécaire, Virginie Latour. Il l’a embauchée pour classer son immense collection de livres sur la dernière passion de sa vie : les nuages. La relation d’amitié amoureuse qui s’instaure entre l’homme, dont l’entourage a prévenu Virginie qu’il n’était pas facile, et la jeune femme est la seule qui intéresse désormais le couturier parce qu’elle va lui permettre de faire la paix avec lui-même. De boucler la boucle d’une vie traumatisée par un événement survenu en 1945, alors qu’il avait 8 ans, dans sa ville natale : Hiroshima.
Christophe Kantcheff
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La Théorie des nuages, Stéphane Audeguy, Gallimard, 292 p., 19,90 euros.