Supprimer la climatisation, diminuer le nombre d’imprimantes, contrôler les déplacements en avion… Autant d’économies substantielles que les employeurs sont tentés de réaliser au nom de la défense de l’environnement. Et comme c’est pour la bonne cause, les salariés peuvent difficilement s’y opposer…
L’écologie, un bon prétexte pour comprimer les coûts
Supprimer la climatisation, diminuer le nombre d’imprimantes, contrôler les déplacements en avion… Autant d’économies substantielles que les employeurs sont tentés de réaliser au nom de la défense de l’environnement. Et comme c’est pour la bonne cause, les salariés peuvent difficilement s’y opposer…
Votre bureau dans dix ans, vous l’imaginez comment ? Plus vaste, plus lumineux, plus high-tech, plus frais en été, plus cosy en hiver, plus… Stop, on redescend sur terre. Et comme, justement, elle ne va pas très bien, cette pauvre terre, vos futurs locaux professionnels devraient surtout être plus austères. Bientôt, quitter une salle de réunion en laissant la lumière allumée pourrait bien être considéré comme une faute professionnelle. De même que faire une photocopie personnelle au boulot, prendre l’ascenseur pour monter un seul étage ou brancher une bouilloire sans autorisation signée du P-DG.
Eiffage va inciter ses salariés à venir au travail à vélo la Défense
Dans certaines entreprises, c’est déjà demain. Ainsi, les 500 salariés du siège d’EasyJet en France doivent se partager deux imprimantes, et ceux de l’assureur Aviva sont plongés dans le noir à partir de 20 h 30. Les chercheurs du centre Thales de Palaiseau ont découvert en emménageant dans leurs nouveaux locaux, fin 2006, que le progrès, pour eux, passait par la suppression de la climatisation. Quant à la direction d’Eiffage, elle a choisi d’implanter son futur quartier général en plein cœur de Lyon afin d’inciter les salariés à venir à vélo ou en train.
«Sensibilisés par les rapports alarmants des scientifiques, par le film d’Al Gore et le récent Grenelle de l’environnement, de plus en plus de dirigeants affichent leurs préoccupations écologistes», commente Anne-Catherine Husson-Traoré, directrice de Novethic, organisme qui étudie les pratiques des entreprises dans le domaine du développement durable. Et ils le font d’autant plus volontiers que cela leur permet de faire passer auprès de leurs salariés de nouvelles et ambitieuses mesures d’économies. Car, lorsqu’une entreprise diminue sa consommation d’eau, d’électricité et de papier, elle sauvegarde, certes, la planète mais aussi ses finances.
La démarche n’a rien de symbolique : «Un peu de bon sens suffit par exemple à réduire les frais énergétiques de 20%», estime Frédéric Caillaud, de Bureau Veritas. Les patrons qui se mettent au vert commencent en général par des mesurettes qui n’embêtent personne. Comme le remplacement des ampoules des luminaires par des modèles basse consommation. «Un geste tout simple, mais qui, depuis cinq mois, nous a déjà permis d’économiser 10.000 euros», assure Etienne Ruth, chargé du développement
durable chez Nature & Découvertes. Lafarge et Air Liquide sont allés plus loin en équipant les couloirs et les toilettes d’interrupteurs à détecteur de mouvement.
Ce qui leur a permis de réduire d’encore 20% la facture d’éclairage. A la banque HSBC, c’est l’eau qui est rationnée : dans les agences, les robinets des toilettes sont progressivement équipés de «mousseurs économiseurs», qui augmentent le nombre de bulles d’air dans l’eau. Résultat : le débit est divisé par deux bien que l’intensité du jet reste la même. Plus radical, le Centre national de la fonction publique territoriale a resserré la vanne d’arrivée d’eau pour réduire la consommation. Il fallait y penser.
Chez Total aussi, on a sorti les tournevis. Les services généraux de la tour de
Une fois les ampoules remplacées vient tout de même le moment où les salariés doivent accepter de modifier leurs habitudes. Pour les en convaincre, on commence par la méthode douce. C’est la phase de sensibilisation. «Elle est indispensable car, bizarrement, même ceux qui trient avec zèle leurs déchets chez eux peuvent devenir très irresponsables au bureau», constate Thierry Fornas, d’Eco-Act, cabinet spécialiste de ces questions.
Chez Bouygues, AXA ou Natixis, des listes de bonnes actions pour l’environnement sont régulièrement envoyées par mail ou sur l’intranet : «J’imprime en recto verso, je trie mes déchets, je préfère le mail au fax», etc. La société de conseil Deloitte a également collé des dizaines d’autocollants sur ses machines. Le texte est simple : «J’y pense.» Il rappelle qu’il faut éteindre son ordinateur tous les soirs. la Commission la Hongrie. la Société Générale la Société Générale. 21 °C
Plus strict, Eiffage a décidé, dans son futur siège lyonnais, d’inciter les salariés à fermer leur PC dès trente minutes d’inactivité. Le jeu en vaut la chandelle. On estime à 139 euros par an et par collaborateur le surcoût dû à un appareil laissé en permanence en veille. Et une étude de
Pour encourager les changements de comportement, certains DRH misent sur l’esprit de compétition. AXA et
à
L’année dernière, un salarié a ainsi proposé de modifier le format d’un courrier envoyé périodiquement à tous les clients. En passant du dépliant à la lettre A4, la banque a économisé 60 tonnes de papier en un an. On espère que l’employé modèle a eu une bonne prime. Jusque-là donc, le bureau version écolo, c’est sympa. Seulement voilà, dans un deuxième temps viennent des mesures plus contraignantes. «Le développement durable, tout le monde est pour. Mais, dès qu’on parle de renoncer à la clim à
Idem quand on veut s’attaquer au pollueur numéro 1 des bureaux : le papier. Selon une étude de l’institut Ipsos, un salarié français imprime en moyenne 700 pages par mois… et en met directement à la poubelle, sans les lire, une bonne centaine. Pour contenir le phénomène, certaines entreprises incluent automatiquement dans les mails échangés en interne la mention «pensez à l’environnement avant d’imprimer ce mail».
rès efficace : la réduction du nombre d’imprimantes la Société Générale 7 mètres
Pourtant, sans vouloir désespérer de la nature humaine, le plus efficace consiste – tous les DRH vous le diront – à diminuer le nombre d’imprimantes. L’ennui, c’est que la distance qui sépare le bureau de cet appareil est considérée comme un élément de statut. A
«Nous les avons néanmoins placées de façon à ce qu’aucun manager ne soit à plus de
Chez Oroxcell, une PME spécialisée dans les biotechnologies, on n’a pas non plus demandé l’avis des troupes pour configurer de force les imprimantes en recto verso. Et économiser ainsi 15.000 euros par an. Il faut aussi un peu d’autorité pour convaincre les cadres de réduire le nombre de leurs déplacements en avion. «Ils plombent notre bilan d’émissions de carbone», déplore Marine de Bazelaire, chargée du développement durable chez HSBC. Elle rappelle donc par circulaire que le train est préférable pour les trajets inférieurs à trois heures. Evident ? Pas du tout : les managers semblent très attachés au standing de l’avion.
Chez Total, pour éviter les tentations et limiter les déplacements entre Pau et Paris, les deux centres du groupe, 80 salles de réunion ont été équipées de matériel de visioconférence. Le mieux, cependant, est parfois l’ennemi du bien. Deloitte, par exemple, a un temps testé l’extinction automatique de l’éclairage à 22 heures, sur un étage. Les consultants, habitués aux heures supplémentaires, se sont mis à utiliser leurs loupiottes de bureau, bien plus gourmandes en énergie. Et naturellement, ils oubliaient de les éteindre en partant. Y compris le vendredi soir. Un autre cabinet de conseil, qui avait supprimé les imprimantes couleur, s’est aperçu que certains consultants ne voulaient pas que leurs clients aient du noir et blanc. Alors ils imprimaient leurs dossiers dans des magasins spécialisés. Et passaient la facture en note de frais !
Marie Charrel
© Capital
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