Pour certains, la cyberguerre est un sujet de scénario de films de science fiction ; pour d'autres, c'est la réalité de la guerre contemporaine. Exemple avec le général Keith B. Alexander, chef du Cyber Command de l'armée américaine, selon qui il existe « une réelle possibilité que, dans l'avenir, ce pays soit l'objet d'une attaque destructrice, et nous devons nous y préparer ». Dans un entretien avec plusieurs journalistes, dont rend compte cette semaine le New York Times, le général Alexander propose la création d'un réseau Internet distinct de celui qui existe aujourd'hui, afin de sécuriser le réseau électrique américain, considéré comme le maillon faible de la sécurité des Etats-Unis.
Cette proposition d'une ampleur considérable, financièrement et techniquement, est lancée publiquement par le général en anticipation d'une remise à plat de tous les enjeux stratégiques liés à Internet par la Maison Blanche d'ici à janvier. Elle fait partie d'un exercice classique aux Etats-Unis de lobby public en faveur d'arbitrages budgétaires par chaque branche de l'appareil militaire, mais pas seulement.
Des « bombes logiques » dans le réseau électrique
Le réseau électrique américain actuel utilise les réseaux Internet et se révèle donc particulièrement vulnérable. C'est la thèse développée au début de l'année par Richard A. Clarke, un ancien responsable de la Sécurité de l'administration Clinton, dans un livre coécrit avec Robert K. Knake, intitulé « Cyber War : The Next Threat to National Security and What to do About It » (« Cyber guerre : la prochaine menace à la sécurité nationale et ce qu'il faut faire »). Clarke affirme que les services américains ont découvert dans le réseau électrique américain des « bombes logiques » chinoises. Une « bombe logique », c'est comme un virus informatique, dormant, qui peut se déclencher à distance et des années plus tard si nécessaire. Ces « bombes » auraient pu être introduites par une faille dans le réseau internet utilisé par les producteurs et distributeurs d'électricité.
Dans son livre, Richard A. Clarke utilise cette découverte pour plaider en faveur d'un réseau internet séparé pour les installations vitales des Etats-Unis (comme le montre le schéma ci-contre). En effet, selon lui, la vulnérabilité du Net américain peut potentiellement mettre les Etats-Unis à genoux en peu de temps en cas de cyber-attaque, privant le pays d'électricité, de transports, de services d'urgence, et affaiblissant même sa capacité de défense. L'ancien conseiller de Bill Clinton se livre même à un exercice de simulation de cyberguerre avec la Chine, avec des étudiants, basé sur un scénario étrangement similaire à un sujet de tension entre Washington et Pékin il y a quelques mois, peu après la sortie du livre. Il imagine ainsi une crise entre la Chine et le Vietnam sur la souveraineté d'îles riches en hydrocarbures dans la mer de Chine, et un engagement de Washington au côté du Vietnam. Ça ne vous rappelle rien ? C'est ce qui s'est produit l'été dernier, sur le plan diplomatique uniquement…
La Chine peut encore passer son réseau électrique en mode manuel…
Au cours de cet exercice, les étudiants ont constaté que plus un pays était informatisé et dépendant d'Internet, plus il était vulnérable. Et donc l'avantage de modernité des Etats-Unis devenait une faiblesse comparé à la Chine, qui a conservé la possibilité de faire repasser en « manuel » son réseau électrique, son contrôle aérien ou son système hospitalier… La cyberguerre est loin d'être de la science fiction. On a ainsi vu la Russie procéder à une attaque massive sur l'Estonie en 2007, qui a paralysé le pays pour le punir d'avoir déplacé un monument controversé lié à la période d'occupation russe. Depuis, l'Otan a ouvert à Talinn, la capitale de l'Estonie, son centre consacré à la cyberguerre…
Il est rare que ces sujets soient ouvertement traités au niveau du grand public, et la sortie du général Alexander constitue une tentative, certes avec des arrières-pensées budgétaires et de pouvoir au sein de l'appareil d'Etat américain, de faire prendre conscience sur les enjeux d'un type de guerre qui n'est pas réservé aux jeux vidéo. Une évolution avec toutes ses ambiguïtés, ses menaces potentielles sur l'espace de liberté qu'est Internet, sur les enjeux de vie privée et de protection des données…
Et sur le risque de remplacer la guerre froide d'hier, avec son équilibre de la terreur dû à la peur de l'arme atomique, par une guerre froide en apparence moins meurtrière car souterraine, mais de fait potentiellement aussi destructrice.
par Pierre Haski - A la Une de Rue89 - http://www.rue89.com/
Vidéo : extrait du film « Wargames », via Vodkaster.