Oyez la véridique histoire du compteur électrique… Elle démarre poétiquement avec une directive européenne : selon cette directive, il faut qu’en 2020 au moins quatre foyers européens sur cinq soient équipés de compteurs com-mu-ni-cants.
Imaginez un compteur relié à un grand ordinateur central, auquel il enverrait en temps réel vos chiffres de consommation : génial, non ? Du coup les agents ERDF (la filiale de distribution d’EDF) n’auraient plus à passer chez vous : quelle économie de transport ! Voilà qui est bon pour la planète ! En plus, affirment les promoteurs de ce nouveau compteur, vous pourrez connaître votre consommation à la minute près. Donc faire moult calculs malins, et vous adapter en conséquence, dîner à 2 heures du matin pour bénéficier du tarif de nuit par exemple… ERDF prétend que sur une facture annuelle de 400 euros vous pourrez économiser 50 euros. Là encore, qui vous dit merci ? La planète. Et c’est parti. Pas moins de 180 000 « compteurs intelligents » baptisés Linky sont en train d’être installés en Touraine et dans le Lyonnais. Et avant même d’attendre le « retour d’expérience », comme on dit, de ce test grandeur nature : Borloo a décrété qu’à partir de janvier prochain tous les vieux compteurs devront être remplacés. Soit 35 millions, à plus de 120 euros pièce, faites le calcul…
Léger hic : ce sont les consommateurs qui paieront. Mais puisque c’est pour leur bien… Autre léger hic : à partir des données fournies par Linky, distributeurs et fournisseurs pourront savoir à quelle heure vous éteignez, vous vous levez, vous prenez une douche, vous vous servez du four, de la bouilloire, du toaster… Le 5 août dernier, la Cnil s’en est inquiétée et a réclamé « des garanties sérieuses sur la sécurisation de ces données et leur confidentialité ». Mais on sait à quel point les recommandations de la Cnil sont respectées. Troisième léger hic : après examen du test en cours, l’Ademe vient de s’apercevoir que Linky sera très utile aux fournisseurs, qui pourront adapter leurs grilles tarifaires et facturer au prix fort les périodes de forte consommation, mais guère à l’usager. Un, la moitié des compteurs sont à l’extérieur des logements, il faudra donc s’acheter un boîtier supplémentaire pour avoir accès aux infos ; deux, Linky « ne restitue pas du tout les données qu’il relève aux consommateurs, donc il ne leur offre aucune garantie d’économie d’énergie » !
On l’aura compris : une fois de plus, l’écologie revue et corrigée à la sauce Grenelle permet, derrière de vertueux discours de façade, de fliquer les usagers, de leur faire les poches et de les rendre encore plus dépendants d’une bureaucratie dernier cri. Point de détail, sur lequel les promoteurs du compteur trop malin n’insistent guère : couper l’électricité des mauvais payeurs pourra désormais se faire à distance, d’un simple clic. Merci Linky !
Le Canard Enchaîné N° 4700 du 24 novembre 2010