Avocat à la cour SCP Seban & Associés, Cécile Fontaine revient pour EurActiv.fr sur les avancées et les lacunes de la loi sur la nouvelle organisation du marché de l'électricité, adoptée par l'Assemblée nationale.
La loi Nome (Nouvelle organisation du marché de l’électricité) va-t-elle permettre de libéraliser suffisamment le marché français et ainsi satisfaire les exigences de la Commission européenne ?
Le premier point essentiel de cette loi est l’ouverture de l’accès à l’électricité nucléaire produite par EDF aux fournisseurs alternatifs (synthétisé par le cigle ARENH : accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Ceci devrait leur permettre de proposer l’électricité à des prix de plus en plus compétitifs. L’objectif est d’essayer de s’aligner sur les tarifs réglementés de vente proposés par EDF.
Mais, à ce sujet, la loi laisse encore de nombreuses incertitudes à résoudre. Tout d’abord sur le prix de l’électricité qui va être mise à disposition des opérateurs alternatifs. Il va être fixé par voie réglementaire sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Ce tarif déterminera vraiment si la loi permet d’ouvrir le marché ou pas. La question des volumes cédés au maximum n’est pas réglée non plus. Ce volume doit lui aussi être calculé et arrêté par la CRE.
Les opérateurs alternatifs veulent accéder au nucléaire produit par EDF au prix de 35 euros le mégawattheure. EDF parle de 42 euros. Un tarif intermédiaire pourrait-il satisfaire la Commission européenne ?
Il faut rappeler que la loi française a été présentée dans ses grandes lignes à la Commission, avant les débats parlementaires en France. Or, visiblement le texte avait l’air de lui convenir. Donc, sur le dispositif même, il ne devrait pas y avoir de problèmes avec Bruxelles. Aujourd’hui, le prix médian de 38 euros est évoqué. Il pourrait correspondre à peu près au niveau du Tartam (tarif réglementé transitoire d'ajustement du marché) et serait un moyen de répondre à l’objectif (de renforcement de la libéralisation du marché de l’électricité).
Le diable va se cacher dans les décrets d’application?
Que ce soit pour le prix, la façon dont les volumes vont être attribués aux fournisseurs alternatifs, les garanties de capacité qu’ils vont devoir fournir…Tout va dépendre des décrets d'application. Le comportement de la Commission de régulation de l’énergie va également être important. Elle va devoir apprécier le coût de l’électricité produite par les parcs nucléaires. Il faudra veiller à ce que toute la transparence soit faite sur ce calcul de fixation du prix.
Les délibérations de la CRE sont publiques. Pourquoi pourrait-il y avoir un manque de transparence?
Prenons l’exemple du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité. Les propositions de la CRE sont fondées sur des éléments auxquels nous avons difficilement accès, comme la comptabilité des gestionnaires de réseau. Il n’est donc pas évident de vérifier que le raisonnement suivi est le bon. Toute la question est de savoir si nous n’allons pas avoir le même problème pour l’ARENH, quand la CRE va fixer le prix d’accès à l’électricité de base.
Ce sera sur la bonne foi de l’opérateur historique….
C’est certain. Il faut espérer qu’il aura la volonté de communiquer tous les documents. Cela dépendra aussi de la façon dont la CRE mettra en œuvre tout ce dispositif.
Selon vous, la loi Nome est-elle une « loi de transition »?
Oui, pour plusieurs raisons. Le projet de loi Nome a été adopté. Mais, en parallèle, un projet de proposition de loi sur la transposition de certaines directives communautaires vient d’être voté par le Sénat. Ce texte contient un article intégré tout récemment pour autoriser le gouvernement à transposer par voie d’ordonnance le 3ème paquet énergie, c’est-à-dire la directive de 2009, qui n'est donc pas dans la loi Nome. Il vise notamment tout ce qui concerne l’indépendance des gestionnaires de réseau de transport, mais également les pouvoirs de la CRE.
Or, pour voir si un marché est bien libéralisé ou pas, il est fondamental de savoir quels pouvoirs aura l’autorité de régulation, quelles sont les obligations pour le gestionnaire de réseau en terme d’indépendance… Et tout ces points seront traités par une ordonnance. De plus, l’objectif de la loi Nome est de faire en sorte que les tarifs réglementés de vente s’alignent sur les prix du marché à l’horizon 2015. A cette date, les tarifs réglementés pour les gros consommateurs disparaissent. Il faudra donc peut-être à ce moment-là réfléchir à l’avenir des tarifs réglementés de vente, qui posaient également problème à la Commission européenne. Toute la question sera de savoir si cet alignement a pu se faire. Actuellement les consommateurs n’ont pas vraiment changé de comportement à l’égard des tarifs réglementés de vente, et sont, en très grande majorité, restés chez EDF.
Le silence de la loi Nome sur les questions de libéralisation de la distribution d’électricité pourrait-il également être une raison de faire un deuxième texte ?
La libéralisation est toujours évoquée sous l’angle de la fourniture, mais la distribution fait également partie du service public de l’électricité. Et le projet de loi Nome ne dit quasiment rien sur les concessions pour la distribution d’électricité. Actuellement, ERDF est désigné par la loi de 2000 pour assurer la distribution du réseau sur près de 95% du territoire. Or, la directive de 2009 prévoit que les Etats membres peuvent désigner un ou des gestionnaires de réseau de distribution « pour une durée déterminée » et « en fonction de considérations objectives ». Mais la loi de 2000 désigne ERDF sans durée limitée. On peut donc aussi s’interroger sur la comptabilité du texte français par rapport au texte européen. Il s’agirait de remettre en concurrence ces concessions comme cela se passe dans d’autres secteurs. Ceci pourrait être modifié par la loi, ou par le juge interne.
Propos recueillis par Clémentine Forissier