Le débat sur l'exploitation des gisements de gaz de schiste porte sur son réel impact sur l'environnement. La suspension des permis d'exploration par le gouvernement, au nom du principe de précaution, ne suffit pas à calmer les discussions. Analyse sur la question de David Desforges, avocat chez Jones Day, et spécialiste des questions liées aux impacts environnementaux des activités industrielles.
Le débat sur les huiles et gaz de schiste met le principe de précaution à l'honneur. Souvent évoqué, souvent invoqué, souvent écorné, il n'est pas inutile à titre liminaire d'en rappeler la teneur :
"Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage." - Charte de l'Environnement de 2004, article 5.
Salage des routes l'hiver, couvre-feux dans les quartiers difficiles, retrait du Mediator du marché, audit improvisé des centrales nucléaires ; la précaution a le vent en poupe. Cet outil juridique est presque devenu une aubaine pour les représentants de pouvoirs publics en quête d'un fondement juridique simple pour justifier des questions aux ressorts complexes.
Le danger est cependant de voir le principe de précaution systématiquement convoqué, coupant ainsi à un vrai débat. A sa manière, l'affaire des huiles et gaz de schiste illustre cet état de fait.
L'Assemblée Nationale examinera le 10 mai 2011, un projet de loi (n° 3301) visant, d'une part, à interdire, sur le territoire national, l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels, par des forages verticaux et horizontaux suivis de fracturation hydraulique de la roche et, d'autre part, à abroger les permis exclusifs de recherches en cours de validité.
Evacuons l'argument d'un code minier modifié pour permettre la délivrance des permis de recherche en question. La partie législative du nouveau code, visant la simplification et la clarification du droit et l'allègement des procédures, n'est entrée en vigueur qu'en mars 2011 et tous les permis de recherche en cause ont été accordés antérieurement.
Pas question d'ignorer les risques
Le code minier ferait ensuite fi de la protection de l'environnement. C'est inexact, tant sous l'ancien que sous le nouveau code minier. Les permis de recherche sont accordés sans enquête publique et sans consultation des maires intéressés. Il en a toujours été ainsi.
Que le code minier puisse faire une place plus significative à l'enquête publique, c'est possible. Que des garanties d'innocuité environnementale doivent être recherchées, c'est évident. Mais que l'interdiction de la recherche et de l'exploitation des gaz et huiles de schiste soit LA solution, cela ne tombe pas sous le sens.
Ces forages exploratoires pouvaient d'abord être poursuivis. Verticaux, sans injection de substances étrangères, de tels forages ne présentent pas de danger environnemental qui ne puisse être prévenu.
L'exploitation elle-même se ferait ensuite en tout état de cause à des profondeurs où l'on ne pratique pas de captage d'eau potable (entre 2000 et 3000 mètres). Le risque de contamination des nappes d'alimentation en eau potable n'est donc pas évident.
A cet égard, on l'oublie souvent, l'exploitation du pétrole conventionnel du bassin parisien est pratiquée depuis plus de 50 ans. Elle est effectuée au moyen de puits verticaux qui traversent les nappes de l'Albien et du Néocomien.
Il n'est pas question d'ignorer les risques. Mais puisque le principe de précaution est invoqué, il faut examiner si la mesure proposée passe effectivement le test. Il faut démontrer un danger « grave et irréversible » pour l'environnement.
Si la protection de la ressource en eau est bien au centre de la problématique, celle-ci ne figure même pas dans les critères retenus. Au-delà, et au vu du potentiel que recèlent ces hydrocarbures, de la hausse des prix du pétrole, de la rareté de la ressource, l'interdiction est-elle surtout une mesure "proportionnée" ? Son coût est-il économiquement acceptable ? Pas seulement pour les pétroliers, mais pour la collectivité publique ?
L'application du principe de précaution appelle pour les mesures qu'il cautionne un bilan global. Sans bilan, la mesure peut être politiquement expédiente mais aussi juridiquement contestable.
La Constitution, selon l'article 61-1, permet en effet désormais de soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Entreprendre une activité minière ne relève pas de la liberté de l'industrie et du commerce. Cela est acquis.
Mais, ayant accepté de bonnes grâces le moratoire de février dernier et interrompu leurs forages, les détenteurs de ces titres miniers pourraient maintenant être tentés d'explorer un nouveau gisement. Juridique et indemnitaire.