Dans le cadre du protocole de Kyoto, les pays signataires se sont formellement engagés à réduire leurs émissions de Gaz à Effet de Serre. Pour atteindre cet objectif, l’Europe a décidé de privilégier la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports routiers. Ainsi, force est donc de constater que ces directives « bio »carburants escamotent toutes initiatives qui auraient pu être prises au préalable pour diminuer d’abord la demande en transport routier en Europe. Cette dernière peut en effet être réduite en s’attaquant à la spécialisation des territoires agricoles en encourageant dans toutes nos régions la relocalisation et la diversification des productions agricoles pour répondre aux besoins des marchés locaux et régionaux.
Il faut également relocaliser la transformation de nos produits : ateliers à la ferme, ateliers collectifs, mais aussi entreprises artisanales privées ou coopératives, aux dimensions adaptées aux besoins et capacités de production. Enfin, les consommateurs doivent être incités à choisir les produits locaux. La dénomination de « bio »carburants a été la première victoire du très puissant lobby des « agro »carburants puisqu’elle met en relation le terme de carburants avec le terme « bio », comme « biologique » conduisant à l’idée fausse que ces carburants sont issus d’une production propre et n’impliquent dans leur utilisation aucune sorte de pollution. Cela a conduit les décideurs européens à privilégier la solution la moins efficace, la plus coûteuse pour le consommateur-contribuable européen et aussi la plus menaçante pour la sécurité alimentaire des personnes.
En effet, les filières de production d’agrocarburants industriels aujourd’hui développées en Europe présentent des efficacités énergétiques oscillant entre 1,3 (éthanols) et 2,5 (EMHV) environ, avec des coûts pour la collectivité de 280 à plus de 500 € pour une tonne d’équivalent CO² évitée, alors que les projets de chaufferies collectives au bois par exemple, qui présentent, sortie chaudière une efficacité énergétique voisine de 12, ne coûte à la collectivité que 40 à 60 € la tonne de CO² évitée, selon la taille des projets. Il semblerait ainsi plus efficace, au vu des objectifs de réduction de GES annoncés et dans un souci d’efficience énergétique et de moindre coût, de soutenir d’autres alternatives.
De plus, le coût du soutien public à ces filières industrielles s’annonce durablement élevé même si le prix du carbone fossile augmente fortement, du fait de leur efficacité énergétique faible. En effet, la filière éthanol de canne à sucre au Brésil, qui présente pourtant une efficacité énergétique sortie usine de 8 à 10, a été soutenue par des subventions jusqu’à ce que le baril de pétrole atteigne 45 à 50 $. Elle l’est d’ailleurs toujours un peu dans les nouveaux états sucriers (Mato Grosso). Comment espérer, dans ces conditions, que nos filières industrielles puissent un jour devenir rentables sans subventions?
QUESTION 1: Comment concevoir un système de viabilité à long terme des « bio »carburants?
La première chose à faire est évidemment de définir une méthode permettant d’évaluer de la manière la plus fiable possible quel est l’impact de l’insertion de ces nouvelles filières de production d’énergie dans le tissu économique préexistant, en matière de diminution des émissions de GES puisque il s’agit de l’objectif principal de la mise en place de telles filières. Cependant, en l’absence de toute politique volontariste de réduction de la demande de transport routier et dans le cadre de l’objectif « facteur 4″, il est clair que ne devraient pas être retenus les biocarburants ne présentant pas un indicateur effet de serre au moins 4 fois inférieur à celui des carburants d’origine fossile qu’ils remplacent.
Or aujourd’hui, seule, parmi tous les agrocarburants produits en Europe, l’Huile Végétale Pure utilisée en cycle court, avec une valorisation locale du coproduit, dépasse ce seuil. Le protoxyde d’azote (NO2) ayant un pouvoir effet de serre très supérieur au CO2 ou au méthane, il ne faudrait pas non plus aggraver l’incidence de l’agriculture dans cette problématique effet de serre par un recours accru aux fertilisants azotés dans une quête de productivité maximale. A ce titre, avant de chercher à apporter des solutions aux autres domaines d’activités, l’agriculture devrait d’abord contribuer à réduire son propre impact sur les émissions de gaz à effet de serre, notamment par l’économie d’engrais azotés de synthèse et par la réduction de pratiques d’irrigation au profit de cultures pluviales adaptées au potentiel agro-climatique des sols.
Enfin, ce qui est bon pour le Brésil ne l’est pas forcément pour l’ensemble de la planète, y compris de prévoir un approvisionnement de la planète par le Brésil, car ce serait au prix d’une déforestation accélérée. L’huile de palme pour faire tourner des moteurs à postes fixes dans des scieries au milieu des forêts en Asie du sud-est n’est pas du même intérêt que l’huile de palme pour nos voitures européennes, ce n’est pas non plus dans la même logique! Il faut lier les ressources aux besoins le plus localement possible dans la logique de les optimiser. La durabilité d’une filière se mesure aussi selon des critères environnementaux plus globaux mais aussi sociaux et de santé publique. Ainsi, l’évaluation de la viabilité des « bio »carburants doit aussi prendre en compte :
- Le maintien de la fertilité des sols Il est essentiel de veiller à ne pas libérer dans l’atmosphère le carbone stocké dans les sols sous forme d’humus et de rompre avec les tendances de « l’agriculture minière » pour prendre en compte le cycle du carbone dans le sol.
- L’impact sur la ressource « eau »
- L’assurance d’un effet positif ou au moins neutre sur la santé humaine. Or il a été démontré récemment que l’utilisation d’éthanol comme « bio »carburants serait dangereuse pour la santé humaine du fait des émissions importantes d’ozone qui seraient conséquemment dégagées.
- L’impact social du développement de ces filières est primordial. Les conditions de travail et de revenu des travailleurs de ces filières ne peuvent être négligées.
En Europe, les agriculteurs qui produisent la matière première doivent être assurés d’obtenir un revenu rémunérateur de ces productions. Si cela nécessite des soutiens (directs ou indirects), il semble difficile que la commission Européenne les justifie dans le cadre d’une politique énergétiques alors qu’elle les abandonne petit à petit dans le cadre de la politique agricole. Serait-il plus légitime de subvenir aux besoins énergétiques des citoyens européens qu’à leurs besoins alimentaires ?
Dans les pays Tiers, la situation des coupeurs de canne à sucre et des travailleurs dans les palmeraies rappelle l’horreur de l’esclavage : surexploitation, salaires misérables, accidents du travail et conditions de vie précaires.
- La menace sur la sécurité alimentaire est évidente. Déjà convoitées par la demande urbaine et industrielle, les surfaces agricoles à consacrer aux cultures énergétiques ne sont pas extensibles pour répondre par une part conséquente à la consommation actuelle. Alors que la population mondiale va continuer d’augmenter et devrait atteindre le chiffre de 9 milliards d’ici à 2050, l’exode rural se poursuit dans de nombreuses régions de la planète et une partie des populations des pays émergents (Inde, Chine) voit leur niveau de vie s’améliorer, ce qui devrait se traduire par une augmentation de la demande alimentaire (en particulier de produits carnés demandant plus de surfaces agricoles pour leur production). Ces phénomènes vont avoir des conséquences profondes dans le domaine agricole dans la mesure où l’occupation des sols, le transport et la transformation des produits vivriers, ainsi que la capacité de la population à s’en procurer, représentent des aspects déterminants de la sécurité alimentaire. La perspective qui se dessine dans l’optique d’une implantation en masse de cultures énergétiques – comme l’annoncent les objectifs européens mais aussi américains à très court terme, ce sont des pays riches qui consommeront toujours autant de carburant produit sur les terres arables des pays pauvres, aggravant leur dépendance alimentaire, détruisant leur écosystème à grande échelle (déforestation, etc.) et générant des conflits régionaux. De plus, sous l’effet des sollicitations du marché, des mises à disposition des terres en jachères, des systèmes de défiscalisation et de soutien adoptés.
Les accords de partenariat avec les pays ACP ne sont pas forcement opportuns. Dans des pays où les habitants ont moins de 2000 calories alimentaires quotidiennement, tels que Haïti ou Madagascar, il y a d’autres priorités de production que les cultures industrielles spéculatives. En revanche, sur certains territoires tel que la Réunion, il est sans doute possible d’envisager des productions d’agrocarburants mais uniquement dans un souci global d’autonomie énergétique et en cohérence avec d’autres sources d’énergie renouvelables.
QUESTION 2: Comment surveiller l’incidence globale des biocarburants sur l’utilisation des terres?
La question du partage des terres entre la production alimentaire et la production non alimentaire de l’agriculture se pose car les terres cultivables de la planète ne sont pas illimitées et la compétition entre besoins énergétiques et besoins alimentaires est inévitable si on laisse le marché réguler seul. On peut d’ailleurs déjà constater à l’heure actuelle l’envolée du prix du maïs qui pose un véritable problème de sécurité alimentaire au Mexique. Avant de surveiller une incidence globale des biocarburants sur une utilisation des terres, il est nécessaire de s’assurer au préalable que les terres répondent prioritairement à l’augmentation de la demande alimentaire mondiale. Cette priorité ne peut être prise en compte sans l’affirmation du droit à la souveraineté alimentaire qui inclut:
- La priorité donnée à la production agricole locale pour nourrir la population, l’accès des agriculteurs aux ressources naturelles (donc à la terre).
- Le droit des agriculteurs à produire des aliments et le droit des consommateurs à pouvoir décider ce qu’ils veulent consommer.
- Le droit des Etats à se protéger des importations agricoles et alimentaires à trop bas prix.
- Des prix agricoles liés aux coûts de production.
- La participation des populations aux choix de politique agricole. A l’exigence première que l’agriculture réponde à sa vocation alimentaire, alors il est envisageable de libérer des terres agricoles pour les productions énergétiques.
QUESTION 3: Comment encourager l’utilisation des « bio »carburants de deuxième génération?
Au préalable, encore faudrait-il s’assurer que ces carburants présentent des productivités nettes/Ha significativement supérieures à la première génération, ce qui n’est pas établi dans l’état actuel de la technique:
- pas de coproduits valorisables en alimentation animale permettant d’économiser des surfaces fourragères.
- la voix « sèche » (gazéification + Fisher-Tropsch) nécessite des niveaux de chaleurs très élevés, d’où des pertes de chaleur fatales importantes. Des productivités élevées de carburants par hectare ne seront atteintes que par un apport extérieur d’énergie, complété par un apport d’hydrogène afin que tout le carbone de la biomasse se retrouve sous forme de carburant. Cette technologie permettrait d’atteindre des niveaux de production de 6 TEP / ha (pour 10 tonnes de matière organique sèche par ha), mais avec un apport d’énergie finale extérieur du même ordre de grandeur… Par contre, si toute l’énergie nécessaire au procédé est fournie par la biomasse elle-même, la production n’est plus que de 1,4 à 1,8 TEP/ ha. Par ailleurs, la taille critique de ces unités serait très élevée, engendrant des coûts de transport important pour leur approvisionnement en biomasse.
- la voie humide (biochimique) de fermentation de la cellulose en éthanol nécessite un prétraitement coûteux de la matière organique, afin que les levures puissent accéder au plus prés de la cellulose. La distillation de l’éthanol reste une opération gourmande en énergie, mais à des niveaux de chaleur modérés, la récupération de la chaleur fatale d’autres installations industrielles pouvant être étudiée. La taille critique de ces usines ne serait par ailleurs que le cinquième de celle de la filière sèche. Toutefois, les premières expériences préindustrielles sont peu encourageantes: l’unité pilote qui vient d’ouvrir au Japon produira 1,4 millions de litres d’éthanol, soit 1120 tonnes, en utilisant 48 000 tonnes de bois, soit 43 kg de bois par kilo d’éthanol…
- En tout état de cause, la biomasse destinée à cette production d’énergie devrait provenir de plantes pérennes, installées sur des terres où la production agricole n’est pas pratiquée, ou en association avec elle, afin d’éviter toute concurrence avec la production alimentaire, qui reste la vocation prioritaire de l’agriculture.
QUESTION 4: Quelles sont les autres mesures nécessaires pour parvenir à une part des « bio »carburants de 10 % ?
Au vu de ce qui précède, cet objectif de 10% d’incorporation d’agrocarburants est à tout le moins très prématuré. L’incorporation d’une quantité plus importante d’éthanol dans l’essence sous forme d’ETBE est un non-sens, compte tenu du coût effet de serre de la synthèse de l’ETBE à partir de l’éthanol et de l’isobutène, qui dégrade de 20 % le bilan effet de serre de l’éthanol, déjà peu flatteur. Se posera également sous peu le débouché pour les coproduits, aujourd’hui utilisés en alimentation animale, mais dont le marché donne déjà des signes de saturation, alors que nous ne sommes qu’à 2 % d’incorporation.
La destruction de ces coproduits en chaudière, aujourd’hui envisagée malgré la valorisation économique beaucoup plus faible qui en résultera, posera d’énormes problèmes d’émissions de NOx dans les fumées, ces coproduits contenant au moins 30 % de protéines! La méthanisation de la matière organique par contre mériterait d’être davantage soutenue. Outre qu’elle permet de réduire efficacement les émissions de méthane par les effluents d’élevage, étendue à l’ensemble de la fraction organique des ordures ménagères et des boues de stations d’épuration, elle permettrait de recycler sur les terres agricoles la totalité des éléments minéraux nécessaires à la production végétale, contrairement à l’incinération qui détruit la totalité de l’azote, ainsi qu’une bonne partie du phosphore.
La production d’huile par des cultures d’algues en bioréacteur, si elle nécessite quelques « sauts technologiques » importants, paraît prometteuse en terme de production de carburant à l’hectare, si elle est couplée à du captage de CO² sur les grosses installations émettrices. Hormis l’Huile Végétale Pure utilisée en cycle court dans le but d’assurer une certaine autonomie énergétique à l’agriculture, les agrocarburants de première génération aujourd’hui développés ne présentent pas des bilans énergétiques et effet de serre en rapport avec l’effort financier durable que la collectivité doit leur consacrer, privant d’autres secteurs plus prometteurs des soutiens qui leur seraient nécessaires aujourd’hui.
L’avènement de « bio »carburants de deuxième génération efficaces n’est pas prévu avant une ou plusieurs décennies. L’objectif d’atteindre 10% d’incorporation passera nécessairement par le recours aux agrocarburants produits à partir de canne à sucre ou d’huile de palme, voire de soja, l’extension des surfaces consacrées à ces cultures se faisant au détriment des forêts tropicales et équatoriales, et des droits fondamentaux des populations qui vivent dans ces régions. En conséquence, la Confédération paysanne demande :
- un moratoire sur l’incorporation d’agrocarburants dans les carburants, sans aller au delà de ce qui est aujourd’hui pratiqué, en limitant la part de l’ETBE à ce qui est techniquement nécessaire.
- Le soutien au développement des filières courtes locales qui permet de maintenir la valeur ajoutée au niveau local (chez le paysan, ou dans un cadre collectif local) : filière huile végétale pure, filière biogaz.
- L’exigence de moyens renforcés pour la Recherche et Développement et l’acquisition de références pour ces filières courtes ainsi que la création de normes techniques validant l’utilisation de l’HVP.
- L’exigence de moyens renforcés pour la recherche sur la production d’agrocarburants de deuxième génération permettant d’augmenter l’assiette de production de biomasse (les zones difficiles en déprise, semi-montagnes et forêts – souvent sous exploitées) sans utilisation excessive d’intrants (plantes pérennes) ;
- La légalisation et défiscalisation nécessaires au démarrage de ces filières
Source :
http://www.confederationpaysanne.fr/images/imagesFCK/File/07/Energie/ConsultationConffr.pdf