Le plus grand bidonville de Port-au-Prince a longtemps été sous la coupe des chefs de bandes, qui pillaient les ressources. Grâce à un calme précaire restauré, l'eau y coule à nouveau.
À Cité Soleil, les gangs ont fait la loi de 2001 à 2006 : jusqu'à la fin de l'année dernière, même les forces de la Minustah, les troupes de l'ONU en charge de la stabilisation du pays depuis 2004, ne s'aventuraient que rarement à l'intérieur du fief de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide. De leur QG situé à l'entrée de la ville misère, un bunker gris béton protégé par des sacs de sable, rien n'émergeait - et certainement pas un casque bleu.
Aujourd'hui, le temps des chefs de gangs semble bien révolu. Les caïds locaux, comme Amaral ou Evans, qui il y a un an encore paradaient dans le quartier et y organisaient même parfois des conférences de presse, sont en prison, en fuite ou sont tombés sous les balles. Fin décembre, le gouvernement et les forces de l'ONU ont décidé de frapper fort. Début février, la Minustah a lancé une vaste opération dans Cité Soleil : 700 hommes ont ouvert le feu contre les bandes. Aux abords de la Croix-Rouge haïtienne, la façade d'une boulangerie est encore aujourd'hui criblée d'impacts de balles. À côté, des marmots plus ou moins nus s'amusent, au milieu de deux carcasses de voitures.
Le QG de l'ONU, lui, a repris des couleurs : il est peint, et s'il est toujours entouré de barbelés, les hommes n'hésitent plus à sortir sur la petite terrasse et à saluer les habitants. Et surtout, l'eau coule à nouveau aux 53 bornes fontaines du bidonville, petites casemates bleues et grillagées où les femmes viennent remplir leurs « bokits », seaux en plastique de cinq gallons (soit près de 20 litres), moyennant une gourde (0,02 EUR).
Il y a donc du mieux dans l'Haïti de tout en bas. Mais rien n'est joué : le pays a connu trop d'accalmies suivies de sévères tempêtes pour respirer vraiment. Il faut continuer à jouer des coudes pour s'en sortir, à l'image des femmes qui se ruent vers les fontaines quand l'eau coule. Car le château d'eau ne compte que 1 000 m3, pour une population au nombre incertain, situation fréquente en Haïti. « Environ 200 000 habitants », disent les uns, « plus de 350 000 », assurent les autres.
Dans tous les cas de figure, on est très loin du compte. Et quand la fissure verticale qui balafre le château d'eau réservoir fuit, signe que le réservoir est bientôt plein et que l'eau coulera bientôt aux fontaines, les femmes se préparent : elles savent que dans deux heures, le réservoir sera à nouveau à sec. Il faudra alors attendre 24 heures, au mieux : la Camep (Centrale autonome métropolitaine d'eau potable) ne dispose de fioul pour actionner les pompes et remplir le château d'eau que quatre jours par semaine.
Les autres jours, il faut s'en remettre aux camions qui acheminent de l'eau hors de prix ou aller puiser de l'eau dans des zones lointaines et insalubres. Et puis il y a toujours ces bassins privés - entre 150 et 250, personne ne sait vraiment - qui détournent une partie de l'eau du réseau de la Camep, revendue aux plus faibles au prix fort. « On doit alors payer entre cinq et 10 gourdes (entre 0,1 et 0,20 EUR) par bokit », explique Losita, qui vit avec son mari et trois enfants à Cité Soleil.
C'est grâce à l'aide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) que les bornes fontaines ont été remises en état. Mais il y a encore beaucoup à faire : « Le réseau est très mauvais, faute d'entretien, explique Ugo Mora, délégué eau et assainissement du CICR. C'est percé, rouillé, et donc souillé. On nettoie en amont et en aval. Entre les deux, on ne sait pas ce qui se passe. » Du bricolage : au château d'eau, c'est à la main qu'on introduit le chlore.
Quand les gangs régnaient en maîtres à Cité Soleil, l'eau coulait rarement et pas un centime ne rentrait dans les caisses de la Camep. « Entre 1997 et 2000, nous récupérions environ 600 000 gourdes (12 650 EUR) par mois, explique Karoline Pierre-Roch, responsable des zones défavorisées à la Camep. Après, plus rien. » Aucun responsable ou technicien ne s'aventurait dans la zone de non-droit. Plus de recettes, donc plus d'investissement. Aujourd'hui, un peu d'argent commence à nouveau à rentrer dans les caisses de la compagnie publique, préalable indispensable à toute installation du renouveau.