L'idée venait de Sam Giancana, successeur d'Al Capone à la tête de la mafia de Chicago, qui voulait reprendre le contrôle de ses casinos à Cuba.
À la CIA
, qui partageait son ambition d'éliminer Fidel Castro, il suggéra donc une méthode d'assassinat - l'empoisonnement - et un assassin digne de confiance - Juan Orta.
Le choix d'Orta séduisit la CIA
, qui lui refila aussitôt six pilules empoisonnées. Responsable au sein du gouvernement révolutionnaire de Castro, Orta recevait déjà des dessous-de-table de Santos Trafficante, chef de la mafia de Tampa. Ayant accès à Castro, il devait glisser le poison mortel dans la nourriture ou la boisson du nouveau dirigeant cubain.
Orta n'a évidemment jamais réussi à accomplir sa mission. «Après plusieurs semaines de tentatives, Orta a apparemment eu peur et a demandé de se retirer», peut-on lire dans un dossier volumineux sur les activités illégales de la CIA
rendu public hier.
En 1971, le chroniqueur Jack Anderson avait été le premier à faire état d'un accord entre la mafia et la célèbre agence de renseignement pour assassiner Fidel Castro. Il aura cependant fallu attendre plus de 36 ans pour apprendre tous les détails de cette affaire.
Baptisé ironiquement «bijoux de famille» à la CIA
, le dossier rendu public hier compte près de 700 pages et porte sur les activités illégales de l'agence entre les années 50 et 70. Il avait été compilé en 1973 à la demande du directeur de la CIA
de l'époque, James Schlesinger, dans la foulée du scandale du Watergate.
En 1974, des éléments de ce dossier avaient été publiés sous la signature du journaliste Seymour Hersh, qui travaillait alors pour le New York Times. Depuis 1992, un groupe de chercheurs réclamait sa publication intégrale, s'appuyant sur la loi d'accès à l'information.
La CIA
a fini par se plier à cette demande, tout en censurant plusieurs des pages du dossier. On ne peut ainsi lire que deux paragraphes sur un programme par lequel les services de contre-espionnage ont illégalement ouvert, de 1953 à 1973, des courriers en direction et en provenance de la Chine
et de l'Union soviétique. Quatre des lettres saisies étaient destinées à l'actrice Jane Fonda.
Par ailleurs, un seul paragraphe est consacré au rôle de la CIA
dans un complot qui a mené à l'assassinat en 1961 de Patrice Lumumba, père de l'indépendance de la République
démocratique du Congo.
La semaine dernière, la National Security
Archive de l'Université George Washington avait rendu publics des documents plus éclairants sur ce que contenaient les «bijoux de famille» de la CIA. L'un
de ces documents était une note de service de six pages qui résumait les activités illégales de l'agence de renseignement. On y retrouvait 18 «squelettes», pour reprendre l'expression de l'agence.
Ainsi, outre Castro et Lumumba, Trujillo, dictateur de la République
dominicaine, fut au nombre des dirigeants étrangers qui ont été ciblés par la CIA.
Parmi les autres «squelettes», on retrouve ceux-ci:
> l'emprisonnement physique pendant deux ans au milieu des années 60 d'un transfuge soviétique;
> l'écoute électronique par la CIA
en 1963 de deux chroniqueurs, Robert Allen et Paul Scott;
> la surveillance en 1972 du chroniqueur Jack Anderson et de membres de son équipe personnelle, dont Britt Hume, aujourd'hui à Fox News;
> l'infiltration des agents de la CIA
dans le mouvement pacifiste à l'époque de la guerre du Vietnam;
> l'expérimentation de certaines drogues telles que le LSD sur des citoyens américains non volontaires.
Le projet d'assassinat contre Fidel Castro est celui sur lequel on retrouve le plus de détails dans les pages rendues publiques hier. En août 1960, la CIA
avait fait appel à un ancien agent du FBI, Robert Maheu, pour approcher un membre de la mafia, Johnny Roselli. Celui-ci avait demandé l'aide de Giancana et Trafficante, deux des 10 hommes les plus recherchés par le FBI.
Le dossier met également en lumière le rôle de Robert Kennedy, ministre de la Justice
dans le cabinet de son frère, dans l'élaboration du projet d'assassinat contre Castro ainsi que d'autres affaires impliquant la mafia.