Chaque semaine, les pêcheurs d'anguilles en remontent des tonnes dans leurs filets. Mais la loi les empêche de commercialiser l'animal vivant.
Ce matin, Dominique Robion en a ramené 500 kg dans ses filets. Les filets sont conçus pour les anguilles. Mais l'écrevisse de Louisiane « tape l'incruste ». « Il y a cinq ans, nous en avons remonté 300 kilos dans l'année », raconte Dominique, l'un des huit pêcheurs d'anguilles du lac. « On trouvait ça sympa, une petite potée d'écrevisses entre amis. » Au fil des ans, la potée reste sur l'estomac : 8,6 tonnes pêchées en 2006, et 12 tonnes rien que pour ce seul mois de mai !« C'est la panique. Dans les filets, elles massacrent nos poissons, qui sont invendables. Physiquement, c'est un boulot de forçat de remonter des filets aussi chargés. Nous n'avons pas le droit de les commercialiser vivantes. Nos deux plus jeunes pêcheurs ne se voient pas finir l'année. Là, on est au taquet : on ne peut plus travailler. Pour une fois, qu'on prenne des décisions rapides ! »Classée nuisible, cette prolifique écrevisse peut seulement être vendue aux cuiseurs et transformateurs. Les plus petites doivent être écrasées et livrées en pâture aux sangliers, sur les rives du lac. La pêche à l'anguille, profession en voie de disparition, est gravement touchée.
À l'étouffée, en navarin
La vente d'écrevisses vivantes - restauration, marchés - offrirait de nouveaux débouchés aux professionnels, qui se tournent vers le préfet. Le crustacé peut trouver une place de choix dans la gastronomie : grillé au beurre d'ail, en cassolette, en fricassée, à l'étouffée, en navarin ou en salade. Un décret autorisant la commercialisation du crustacé vivant (comme en Haute-Savoie) contribuerait à freiner la prolifération, en lui offrant de nouveaux débouchés. Mais certains scientifiques estiment, au contraire, que le transport d'animaux vivants est un risque supplémentaire de propagation.Dans l'Ouest, la Loire-Atlantiqueest la plus touchée : le département possède la seconde étendue de zones humides de France, juste derrière la Camargue. L'écrevissecreuse des terriers et menace le gigantesque herbier flottant (mille hectares) du lac, son garde-manger : « 1 400 guifettes moustac [des sternes d'eau douce] y font leurs nids, entre les nénuphars, explique Patrice Bioret, gestionnaire de la Réservenaturelle du lac. Si la densité de l'herbier diminue, les guifettes iront ailleurs ou disparaîtront. Tout ce qui peut contribuer à diminuer la pression des écrevisses est une bonne chose. Autoriser la commercialisation permettrait de réorienter la pêcherie et d'alléger les prélèvements d'anguilles et de brochets. »La crise que vivent les pêcheurs de Grand-Lieu illustre la fragilité des écosystèmes quand ils sont envahis par une espèce introduite.
« C'est une grande cause de diminution de la biodiversité. »
Et pas seulement parce que l'écrevisse est prédatrice. Elle est aussi une proie pour les hérons, aigrettes et spatules qui, aujourd'hui, ne mangent plus que des écrevisses. Et risquent eux aussi de se développer à l'excès, en menaçant la diversité de la vie.
Daniel MORVAN.