A peine une semaine après les accords de Grenelle en mai 1968, qui ne mirent personne tout à fait d’accord, de Gaulle dut se résoudre à dissoudre l’Assemblée.
Espérons que le Grenelle de l’environnement, dont les réunions préparatoires ont débuté lundi, ne s’achèvera pas ainsi. Sans aller jusque-là, reconnaissons que l’exercice démarre délicatement.
Depuis lundi et jusqu’à la rentrée, chacun des six groupes de travail se réunit en vue de la tenue du Grenelle en octobre. A l’issue de ces négociations réunissant pour la première fois ONG, patronat, syndicats, Etat et collectivités locales pour aborder les questions environnementales, le gouvernement s’engagera sur quinze à vingt mesures concrètes en faveur de l’environnement.
Le coup tordu. Lors de la première réunion préparatoire du Grenelle, les cinq collèges de participants (syndicats, collectivités, ONG, patronat et Etat) ont vu arriver des «personnalités morales associées», invitées par le ministère. Chacun des six groupes de travail - climat, biodiversité, agriculture. - s’est donc vu adjoindre une grosse dizaine de personnes supplémentaires.
Le ministère de l’Ecologie, du Développement et de l’Aménagement durables (Medad) prétend être victime de son succès. «Les places sont chères, s’amuse Pierre Radanne, consultant en énergie et président de l’association 4D. Attention à l’invasion.» Certains y voient un renfort pour le Medef, le lobby agricole et le gouvernement.
D’autres trouvent plutôt légitime d’élargir le nombre de participants. «Mais quand on décide de créer des collèges de huit personnes, on s’en tient à ce qu’on dit et on n’est pas obligé de céder aux pressions des uns et des autres», estime Yannick Jadot, directeur des campagnes de Greenpeace. Reste un problème majeur : comment discuter en profondeur à cinquante autour d’une table ? «Il faut déjà deux heures pour se présenter», grogne un participant.
La gymnastique. Non seulement les discussions promettent d’être longues et animées, mais surtout, le champ de la négociation est assez vertigineux : politique agricole commune, OGM, énergie, nucléaire, transports, emploi, fiscalité. Et les contours des groupes de travail sont encore flous (OGM dans les groupes Agriculture et Santé, agrocarburants dans les groupes Energie et Agriculture.)
«On n’a pas l’expérience d’une négo aussi large, aussi globale et à mener dans un délai aussi bref, concède Pierre Radanne. De fait, cela fonctionne comme le jeu télévisé le Maillon faible.» Chacun doit élaborer des propositions et obtenir l’accord des autres participants sur celles-ci, à moins de les voir disparaître ou amputées. Exemple avec la fiscalité environnementale : «Les ONG écologistes veulent une fiscalité sur l’énergie. Le patronat dit d’accord, à condition par ailleurs de supprimer des taxes, l’Etat affirme qu’il ne peut pas supprimer des ressources fiscales et les associations familiales refusent que les ménages paient à la place des pollueurs», raconte Pierre Radanne.
Bref, la fiscalité environnementale, bien que plébiscitée, est vécue comme une patate chaude. A la sortie du Grenelle, une vingtaine de propositions fortes et concrètes devront sortir. L’Alliance pour la planète a demandé hier à Jean-Louis Borloo de clarifier le processus.
La transparence. Les 77 associations réunies dans l’Alliance racontent leur Grenelle de l’intérieur dans un Grenellorama (http://legrenelle.lalliance.fr). But : laisser la porte «entrouverte» afin que le public soit informé des réunions préparatoires. Le Medad dispose aussi d’un site (www.legrenelle-environnement.fr). Par ailleurs, l’Alliance a demandé au Medad entre 100 000 et 200 000 euros pour payer des expertises et affronter les bataillons d’experts du Medef. En dépit de quelques divergences de vue, les ONG maintiennent l’union sacrée. Et il leur faudra beaucoup de pugnacité pour faire de ce Grenelle-là une réussite.
Par Laure Noualhat