Le prix des matières agricoles décolle, notamment grâce au succès des agrocarburants. Mais le consommateur risque de trinquer.
Cela ne fait plus de doute, le pouvoir d’achat des Français sera grignoté à la rentrée par les hausses de prix de certains aliments. En cause : les records battus ces derniers mois par les cours des céréales et autres produits agricoles, comme le soja et la poudre de lait. Le blé a bondi de 50 % en un an, passant de 121 euros à 180 euros la tonne, selon La Dépêche, référence sur le marché agricole français. Au niveau mondial, c’est du jamais-vu depuis 11 ans. Le maïs a augmenté de son côté de 52 %, le soja de 40 % et la poudre de lait de 85 %. Un cocktail explosif de facteurs conjoncturels et structurels crée ce phénomène
D’où vient la flambée ?
Elle a d’abord des raisons immédiates, propres à la récolte 2006-2007. La première : les aléas climatiques. La sécheresse en Ukraine et en Australie a entamé les récoltes de blé. Pour protéger son propre marché, Kiev a fini par suspendre ses exportations. Les stocks mondiaux sont ainsi au plus bas, au moment où l’appétit pour ces denrées s’accélère dans le monde. «En raison du développement des usages non agricoles des produits agricoles, comme les agrocarburants et la chimie verte, les prix vont rester élevés», estime Hervé Guyomard, directeur scientifique à l’Inra, l’Institut national de recherche agroalimentaire. Et la consommation croissante des pays émergents renforce la tension du marché. «La hausse des cours du blé en Europe se répercute sur les autres céréales. Par effet de substitution, la demande d’orge et d’autres produits augmente», explique un industriel. Même chose aux Etats-Unis pour le maïs, dont les cours explosent en raison de la demande pour l’éthanol.
S’ajoute un facteur financier. L’appât du gain des fonds d’investissement ne pouvait laisser longtemps sommeiller ces actifs, explique Guyomard. BNP Paribas a créé en septembre un fonds «agriculture et bétail», basé sur les «potentiels de marché que représentent les biocarburants et la demande de viande des pays émergents». A la Société générale, «l’exposition aux produits agricoles dans le portefeuille matières premières est passée de 2 % à 6 % cette année», confirme Raphaël Dubois, gérant du fonds de la banque.
Cette envolée est-elle durable ?
La bulle ne va pas éclater de sitôt, à en croire les professionnels, même si elle devrait se stabiliser à un haut niveau. Avec l’essor des agrocarburants et la hausse de la demande la Chine et de l’Inde, le déséquilibre offre-demande est profond. «A moins que l’on augmente les surfaces cultivables», nuance un industriel. «A terme, l’offre va réagir et augmenter et les prix agricoles vont certainement, sinon rebaisser, au moins être plus calmes», analyse Philippe Martin, économiste.
Certains pays vont-ils devenir de grandes puissances agricoles ?
Des pays fortement dotés en terres cultivables et exportateurs nets, comme l’Argentine et les pays d’Europe de l’Est, devraient en profiter. Ils devront arbitrer entre les cultures industrielles, pour les carburants végétaux, et les cultures alimentaires. «Mais l’ouvrier argentin verra son pouvoir d’achat baisser, à cause de la hausse des prix, même si le pays dans son ensemble voit son revenu augmenter», précise Philippe Martin.
Quelles sont les conséquences de cette ruée ?
Les heureux gagnants sont les agriculteurs; en France, leur revenu a augmenté de 16 % en 2006, selon l’Insee. «On peut se demander si à terme, le secteur agricole français ne sera pas capable de se passer de subventions», avance prudemment Philippe Martin. Une euphorie productive qui pourrait relancer le débat sur les OGM, qui permettent d’accroître les rendements, et à l’origine de la décision de Bruxelles de supprimer les 10% de jachères obligatoires pour la prochaine récolte.
Les perdants sont plus nombreux. «Les éleveurs de porcs, lapins, volaille et bovins ont de grosses difficultés», explique un fabricant d’aliments pour animaux, qui leur vend céréales et tourteaux de soja. «Les délais de paiement s’allongent», constate-t-il.
Dans le clan des victimes, les industriels, qui achètent leurs ingrédients au prix fort et peinent à répercuter cette hausse des coûts dans la distribution, très hostile à modifier ses étiquettes ou à réduire ses marges. Au bout de la chaîne, les consommateurs vont voir grimper le prix des produits alimentaires les moins transformés : fromages et produits laitiers, biscuits, poulet, saucisses. Pour l’instant, les professionnels du secteur sont en pleine négociation, pour éviter «la valse des étiquettes», conformément aux souhaits de la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. Agriculteurs, transformateurs et distributeurs se réuniront en septembre, armés d’un «tableau de bord objectif qui permettra de ne pas contester les chiffres», a affirmé la semaine dernière Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA.