Le 4 août 1987 était présenté à l’ONU un rapport fondateur : «Notre avenir à tous».
Le 4 août 1987, une révolution douce s’amorçait. Il y aura vingt ans jour pour jour demain, le terme de «développement durable» s’officialisait devant l’Assemblée générale des Nations unies par la présentation du rapport du Premier ministre norvégien, madame Gro Harlem Brundtland. Il est certes toujours possible de repérer l’expression dans d’autres documents antérieurs, mais chacun s’accorde à reconnaître le rapport «Notre avenir à tous», dit rapport Brundtland comme le document fondateur du développement durable. L’expression fut vraiment popularisée à partir de juin 1992 à l’occasion du sommet de la Terre à Rio de Janeiro, lui-même conséquence dudit rapport qui en définissait les contours.
Par Mathieu Baudin, enseignant, chercheur en prospectivemaître de conférences à Sciences-Po., et Thierry Libaert, maître de conférences à Sciences-Po.
QUOTIDIEN : vendredi 3 août 2007
C’est donc un anniversaire majeur que nous pouvons célébrer car, si la dénomination «développement durable» reste un peu absconse pour l’opinion publique, elle fait aujourd’hui l’objet d’un large consensus auprès des parties prenantes. Car le développement durable portait en lui les germes d’une transformation profonde : il reconnaissait l’égalité et l’interdépendance des sphères sociale, environnementale et économique, ouvrait nos perspectives sur le long terme et l’intégration des générations futures, et apportait un véritable mode de gouvernance au travers de ses trois piliers, les principes du «pollueur payeur» et ceux de prévention et de précaution.
Même si le terme fait toujours l’objet de critiques et d’une surutilisation par les communicants d’entreprise, force est de reconnaître que ses impératifs furent largement intégrés dans l’entreprise, par éthique peut-être, par conviction sans doute, mais certainement aussi par intérêt bien compris d’un nouveau rapport de forces entre actionnaires, financiers, ONG, société civile et médias, chacun ayant un motif de veiller à la bonne application des principes du développement durable. Nous assistons donc à un curieux paradoxe : au moment où, enfin, le développement durable trouve sa pleine légitimité, l’équilibre dont il est intrinsèquement porteur n’a jamais été autant remis en question. En effet, un de ses apports majeurs était l’acceptation de l’égalité des trois sphères. Or on constate que non seulement la sphère sociale s’effiloche de plus en plus et se réduit au saupoudrage de quelques paramètres d’égalité homme-femme dans les échelons de direction d’entreprise, agrémentés d’un peu de diversité culturelle ; mais qu’en outre la sphère environnementale se réduit elle aussi pour se confondre de plus en plus avec la seule préoccupation de changement climatique.
Loin de nous évidemment l’idée de minimiser celle-ci, mais force est de constater que ce brise-glace médiatique de notre atermoiement, éclaireur de conscience à coup de plaies météorologiques, se retrouve malgré lui le résumé simplifié d’une idée qui posait à l’origine beaucoup plus de questions sur notre système de développement. Et voir quelques entreprises nommer des interlocuteurs «climat» dans des structures de gestion du risque ou dans des directions commerciales sans connexion avec les directions du développement durable, en vertu de reventes potentielles de quotas de carbone, loin d’une bonne nouvelle, apparaît par trop comme une aberration structurelle. Il faut donc sauver l’esprit du développement durable qui, en dépit de son caractère sans doute trop englobant, souvent porteur de confusion, représente aussi la chance de réduire les cloisonnements dans des frontières normatives trop étanches.
Le développement durable n’est pas juste un mode de production économique comme a voulu le faire croire le sommet de Paris en février 2007 baptisé «sommet de la croissance écologique» afin d’éviter le mot de développement durable. Il est une occasion unique de retrouver du sens. Et puisque nous en sommes aux célébrations, nous pourrions relier le 50e anniversaire du traité de Rome au 20e anniversaire du rapport Brundtland et au 10e anniversaire du protocole de Kyoto, tant le développement durable peut représenter pour l’Europe l’incarnation moderne de sa vision mondiale, une troisième voie multipartite, tempérante et raisonnée qui se propose comme modèle entre la foi inébranlable et aveugle dans le progrès de ses alliés américains et l’envie irréfrénable de croissance de ses clients chinois et indiens. Déjà inscrit en substance dans le traité de Maastricht (1992), explicitement affirmé dans les traités d’Amsterdam (1997) et de Nice (2000), la Constitution européenne faisait du développement durable le troisième objectif affiché de l’Union après la paix et la liberté, et c’est sans doute un signe fort de voir travailler de concert les diplomaties britanniques et françaises à faire du protocole de Kyoto une nouvelle donne mondiale. En cette période de relance et de commémoration, il est peut-être temps de prendre prétexte de ce consensus et d’appeler à un acte symbolique fort pour l’Europe : la nomination d’un ministre européen du Développement durable. Que le premier des ministres que pourrait désigner l’Union européenne soit celui du Développement durable, il y aurait là un sujet de cohésion pour l’Europe et une affirmation de sa détermination à affronter ensemble les grands enjeux de demain. Que les 27 puissent parler d’une seule voix lorsque la planète est en question, et notamment pour les négociations qui prépareront le prochain traité sur les gaz à effet de serre, voilà qui serait aussi un beau moyen de nous réconcilier avec l’Europe.
Thierry Libaert a notamment publié : « Environnement et Entreprises - En finir avec les discours», avec Dominique Bourg et Alain Grandjean, préface de Nicolas Hulot, aux éditions Village Mondial, 2006.