L'an prochain, Issy-les-Moulineaux sera la seule commune française à disposer d'une usine d'incinération partiellement souterraine. Coup de projecteur sur ce projet hors norme de 540 millions d'euros.
La perspective est vertigineuse. Sept fosses impeccablement alignées. Elles ont été coulées dans du béton, à près de 30 mètres de profondeur. Une noria de camions viendra y déposer chaque jour plusieurs centaines de tonnes de déchets ménagers. À quelques mètres de là trône un énorme grappin. Il se saisira des résidus les plus lourds.
À l'étage supérieur, des silos, remplis d'acide et de soude, se dressent sur dix mètres de haut. Ils jouxtent deux fours capables de brûler 400.000 tonnes de déchets par an. Les kilomètres de câbles électriques déjà installés semblent des veines cheminant dans une étincelante ossature de tuyaux en inox. Bienvenue dans les entrailles d'Isséane, la future usine d'incinération et de tri des déchets ménagers d'Issy-les-Moulineaux, aux portes de Paris. Bienvenue entre0 et 33 mètres sous terre. Isséane est presque unique en son genre en France. Seul Monaco dispose déjà d'une usine d'incinération enterrée. Ce genre de " temple " n'est pas à la portée de toutes les communes. La facture totale devrait atteindre 540 millions d'euros, hors taxes, dont 250 engloutis par les seuls travaux de génie civil.
Construire un incinérateur aux portes de Paris, sur les berges de la Seine, juste en face du XVI e arrondissement, l'un des quartiers les plus huppés de la capitale : c'était à coup sûr un pari à haut risque pour les élus des 85 communes franciliennes finançant ce projet. Et tout particulièrement André Santini. Le maire d'Issy-les-Moulineaux avait, dès le lancement du projet en 1999, souhaité que la future usine soit la plus respectueuse possible de l'environnement. Il tenait notamment à ce qu'il n'y ait ni cheminée ni panache de fumées. L'exact opposé du très décrié incinérateur qui, à 500 mètres de là, attend l'inauguration d'Isséane pour cesser son activité.
DES CANDIDATS TRIES SUR LE VOLET
Également soucieux de l'environnement - même si cette exigence était alors assez peu courue -, le syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères, qui est à la fois le maître d'ouvrage et le maître d'oeuvre, a trié les candidats sur le volet. Avant d'opter pour ce projet hors norme. Non seulement Isséane est pour partie enfouie mais la partie visible du bâtiment sera entièrement habillée, de bois, de verre et de végétaux. Le groupement vainqueur de l'appel d'offres associe des architectes (Dubosc et Landowski, AAE), un paysagiste (Serge Eyzat) et un bureau d'ingénierie spécialisé, Sechaud devenu Iosis (voir ci-dessous).
Chargé de dessiner les plans et de définir les spécifications techniques de la future usine, c'est Iosis qui a proposé de l'enterrer. Une prouesse technique compte tenu de son emplacement. Il a fallu, entre autres, installer des centaines de milliers de tonnes de panneaux de ferraillage et travailler sur un terrain meuble, en bord de Seine. Mais Iosis avait déjà été confronté à des configurations géotechniques équivalentes lors de la construction d'une centrale nucléaire à Nogent-sur-Seine.
Isséane comprend aussi plusieurs ouvrages d'art, comme ces ponts qui n'ont rien à envier aux viaducs d'autoroutes ou ces mégapoutres de soutènement de quatre mètres de large par deux mètres de haut. L'originalité d'Isséane réside enfin dans l'habillage de la partie visible du bâtiment, haute de 21 mètres.
ECLAIRAGE EN BASSE TENSION
Lorsqu'elle entrera en service début 2008, Isséane ressemblera à s'y méprendre à un immeuble de bureaux moderne, de haut standing. Le toit sera entièrement végétalisé et l'avant des façades truffé de végétaux et de conifères. Les traditionnelles cheminées ont été remplacées par un système invisible d'évacuation des fumées. Il sera presque impossible de se douter, sauf à voir les camions entrer et sortir, que le site abrite une usine d'incinération.
Le projet porté par Iosis ne soigne pas que les apparences. L'éclairage fonctionnera partout en basse tension. L'usine consommera vingt fois moins d'électricité qu'un incinérateur classique. Elle ne rejettera pas une goutte d'eau à l'extérieur. La gestion du chantier se veut également écologique. Les plus gros éléments d'équipement de l'usine ont été acheminés par la Seine de façon à éviter la circulation de 300 convois exceptionnels. Et 560.000 m3 de déblais ont également été évacués par voie fluviale. Isséane, incinérateur écolo ?
SOPHIE SANCHEZ