Un article à lire dans Politis : « La contamination par les OGM est inéluctable » par Patrick Piro, ce jeudi 6 septembre 2007. Selon le scientifique mexicain Ignacio Chapela, il est impossible de faire coexister des variétés de plantes transgéniques et traditionnelles. Il prône une « science de la précaution » face à la « science de la promotion ».
Ignacio Chapela, microbiologiste et professeur à l’université de Berkeley en Californie, est un scientifique respecté. Ses travaux ont connu un retentissement mondial à l’occasion de la publication dans la revue Nature, en 2001, de preuves de contamination par du maïs OGM de variétés natives des hauts plateaux mexicains d’Oaxaca, berceau et réservoir génétique de cette très importante culture mondiale. En retrait, à la suite de pressions considérables orchestrées par le lobby des biotechnologies, il a exceptionnellement accepté de participer à la 3e conférence « Savoirs vivants » organisée à Paris, en fin de semaine dernière, par la Fondation sciences citoyennes, et qui a réuni plus de 300 participants de 37 pays de tous les continents, venus plaider pour la reconnaissance de la société civile comme acteur de la recherche.
Le résultat de vos recherches sur la contamination génétique du maïs sauvage au Mexique a-t-il été vérifié par d’autres travaux ?
Ignacio Chapela : Un groupe américano-mexicain de six chercheurs y a travaillé pendant trois ans. Sa conclusion : il y a bien eu contamination de souches natives de maïs à Oaxaca. Ils ont présenté leur article pour publication dans des revues scientifiques. Il leur a fallu deux ans pour essuyer un refus définitif. Ils ont alors décidé de modifier leurs conclusions dans un sens opposé à partir des mêmes données ! après avoir évincé du groupe les deux chercheurs les plus sceptiques. Résultat, leur article a été publié à peine deux mois plus tard, en août 2005 (1) !
J’ai tenté, en vain, de connaître les raisons de ce revirement. Les chercheurs évitent en tout cas prudemment de dire que j’ai tort, laissant apparaître que « quelque chose s’est produit entre 2000 et 2003 », mais qu’ils ne détectent, eux, aucune contamination. Aurait-elle disparu par enchantement ? J’ai fait une analyse des biais de leur travail. Aucune revue scientifique n’a accepté à ce jour de la publier. Ainsi, sur la problématique devenue mondialement notoire d’une contamination du réservoir génétique planétaire du maïs, il n’existe, en tout et pour tout, que deux publications scientifiques !
Est-il quand même possible de se forger une conviction sur la réalité de cette contamination ?
Selon toute évidence, cette contamination est toujours une réalité. En particulier, l’un des chercheurs évincés du groupe des six continue à en accumuler des preuves. Divers groupes le font également, comme Greenpeace, qui a financé plusieurs études de très bon niveau. Mais, bien sûr, rien de tout cela n’a été publié par des revues scientifiques. Quand des ONG financent des recherches, on dit que c’est « politique ». En revanche, le fait que quatre chercheurs du groupe des six soient des officiels mexicains ne trouble personne. Plus généralement, quand c’est l’industrie qui finance des recherches, on trouve rarement à y redire...
Est-il possible d’organiser la coexistence entre variétés transgéniques et conventionnelles, comme le tentent la plupart des pays ?
Non, c’est un leurre absolu. La pollution génétique est scientifiquement inévitable. Ce n’est pas une question d’éloignement entre parcelles Monsanto estimait au début, pour le maïs, qu’il suffisait de 1,50 mètre de distance de sécurité ! Ce n’est qu’une question de temps. Cela mettra, par exemple, plus de temps pour le riz, beaucoup moins propice aux croisements que le maïs, mais c’est inéluctable. On rencontre le même problème avec les espèces invasives. La « coexistence » est un concept clé inventé par l’industrie biotechnologique pour négocier le fait que la contamination génétique par les OGM est une réalité, c’est la stratégie du cheval de Troie. Le terme exact, c’est « propagande » !
Comment expliquez-vous la quasi-absence de recherches sur ce sujet ?
Il est extrêmement difficile d’obtenir des fonds pour travailler sur les problèmes de contamination, qui gênent beaucoup les entreprises des biotechnologies... Pourtant, c’est impressionnant, tous les scientifiques savent pertinemment que ces contaminations sont hautement probables.
Je constate qu’il existe deux sciences. La dominante, qui, depuis la Seconde Guerre mondiale, a assigné à la recherche le rôle de produire des solutions technologiques miracles. Or, depuis quelques années, on constate que cette science produit aussi des problèmes, et de plus en plus fréquemment. Les biotechnologies en font partie, notamment les transgéniques. Ce modèle de science, promu par les États-Unis, inspire désormais fortement l’Europe.
Et puis il y a une science qui se pose des questions, et dont les réponses peuvent conclure que certaines technologies ne sont pas souhaitables. Elle est hélas marginale. C’est pourtant cela dont nous avons besoin, dans l’époque pleine d’incertitudes que nous vivons : une « science de la précaution » face à la « science de la promotion ».
Vous avez fait l’objet de pressions considérables de la part du lobby des biotechnologies, en particulier de Monsanto, qui a dénigré vos travaux. Ce qui vous a conduit à prendre une année sabbatique en Norvège...
Ce pays est, à ma connaissance, le seul au monde qui ait instauré une protection institutionnelle au profit des chercheurs de cette « science de la précaution », comprenant les « lanceurs d’alerte ». Les États-Unis exercent d’ailleurs de fortes pressions sur le gouvernement norvégien pour qu’il ne finance pas l’Institute of Gene Ecology, où je suis hébergé.
Avez-vous renoncé à vous intéresser aux OGM ?
Certainement pas ! Je travaille actuellement sur une nouvelle méthode de détection de la présence de gènes manipulés. Il est urgent de mettre au point des outils qui permettront à n’importe qui dans le monde de tester ses cultures à bas coût. Ce qui permettrait d’établir une carte mondiale de distribution des contaminations transgéniques, projet auquel je travaille également. Les associations Greenpeace et Genewatch le font partiellement, mais seulement à partir des accidents de contamination identifiés. Mon idée est de mettre dans le coup des millions d’agriculteurs qui pratiqueraient eux-mêmes des mesures et feraient remonter des informations des quatre coins du monde.
Vous combattez également très activement la privatisation des universités, et notamment la tentative de rachat de l’université de Berkeley par la compagnie pétrolière BP...
C’est une énorme opération, qui implique l’armée, le secteur de l’énergie, le gouvernement, etc. Pour 500 millions de dollars, BP entend mettre la main non seulement sur les résultats des scientifiques, mais, bien au-delà, sur toutes les fonctions de l’université. C’est-à-dire que des dizaines de salariés de BP siégeront dans les comités de programmes, orientant les travaux de recherche, les cursus éducatifs, les formations professorales, les partenariats, etc. Le coeur de cette énorme opération, c’est la mainmise sur le secteur « top secret » de l’université, une zone protégée par l’armée où sont développées des recherches stratégiques comme le fut le projet Manhattan, qui a donné naissance à la bombe atomique pendant la Seconde Guerre mondiale.
L’objectif de BP, ce sont les agrocarburants, notamment ceux de la deuxième génération, non plus produits à partir de cultures alimentaires maïs, blé, soja , mais grâce à des bactéries, des champignons, des algues, des arbres, etc. Les perspectives sont considérables, en particulier pour le développement des OGM. De quoi relancer cette technologie qui, malgré une propagande qui ne faiblit pas, reste un immense échec économique en agriculture.
(1) Dans le journal de l’Académie des sciences américaine (PNAS), sous les signatures principales du Pr. Ortiz Garcia (Institut national d’écologie mexicaine) et du Pr. Snow (université d’Ohio).