Hier détruit, l'arbre des bords de Loire est désormais sous haute surveillance. Il stabilise le fleuve, sert de barrière aux crues et il filtre les pesticides. Tortueux, le tronc du peuplier noir sauvage compte de nombreuses cicatrices, en forme de crevasses où aiment à se nicher martins-pêcheurs et chauves-souris.
« Il existe une diversité chez le peuplier noir sauvage aussi grande que dans l'espèce humaine. Cette variété est une richesse pour l'espèce qui, du coup, subit moins la sélection naturelle. » Quand on écoute parler Marc Villar, chargé de recherche à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) à Orléans, on plonge dans un autre monde, celui des Populus nigra. À l'état sauvage, ces peupliers noirs affectionnent les bancs de sable et de graviers le long des fleuves.
Signes particuliers : une écorce rugueuse, une hauteur pouvant atteindre 30 mètres et un capital vie de 150 ans. « C'est ce qui fait son originalité. Le saule blanc, également présent dans les forêts alluviales, n'atteint, lui, que les 70 ans en moyenne. Le peuplier noir sauvage se démarque aussi par sa plus grande tolérance à des sécheresses estivales temporaires. »
Un conservatoire à Guéméné-Penfao
Le peuplier est aujourd'hui l'objet de tous les soins : programmes de réimplantation, de sauvegarde et de culture en pépinière. Mais il revient de loin. Menacée par l'activité humaine - notamment liée à l'agriculture -, l'espèce a subi de plein fouet les aménagements entrepris autour des berges, le long des fleuves et cours d'eau. Sans oublier les extractions de granulats en carrière qui ont aussi réduit peu à peu l'étendue des forêts alluviales. Le long du Rhône et du Rhin, on a perdu beaucoup d'arbres. Les mille kilomètres de la Loire font meilleure figure, même s'ils enregistrent aussi des zones de carences. Les Pays de la Loire en tête, car ? à proximité de l'estuaire, l'activité de l'homme est « encore plus prégnante qu'ailleurs ». Avant le Plan d'aménagement Loire Grandeur Nature (signé en 1994), on détruisait systématiquement les forêts riveraines afin de permettre, croyait-on, un écoulement plus facile de l'eau en cas de crues. Depuis, les études de généticiens et de biologistes ont réhabilité le rôle essentiel de cette faune et flore évoluant en zone humide.
A Guéméné-Penfao (Loire-Atlantique), un Conservatoire national des arbres sauvages abrite une collection de 450 individus de peupliers noirs sauvages. Cette pépinière d'État travaille avec l'Inra sur un inventaire national du végétal ligérien. Le conservatoire est aussi sollicité pour replanter des peupliers noirs dans les Pyrénées et à Strasbourg.
Filtre à nitrates et phosphates
Le responsable des peupliers, Olivier Forestier, vante les qualités de l'arbre. « Il redonne de la stabilité aux fleuves en servant de barrière naturelle aux crues. Il héberge aussi une grande faune et flore, avec les crevasses de son tronc où se nichent chauves-souris et martins-pêcheurs. Et il filtre l'eau des pesticides et des engrais. » Une contribution non négligeable dans les rivières exposées aux nitrates et phosphates. Selon le chercheur Charles Ruffinoni, du laboratoire Geode de Toulouse, une forêt naturelle peut épurer jusqu'à 95 % de l'azote présent dans un cours d'eau. Avec la réhabilitation du peuplier, c'est tout un écosystème qui peut reprendre vie. « Il fixe des sédiments qui permettent aux frênes et saules de s'y implanter ensuite », poursuit Olivier Forestier.
Ne manque plus au peuplier noir que l'homologation de variétés sauvages. Elle devrait être délivrée cet automne par le ministère de l'Agriculture. Elle permettra la commercialisation de l'espèce. Particuliers, agriculteurs et aménageurs pourront s'approvisionner auprès des pépiniéristes. Patience : les plants doivent grandir deux ans en pépinière, avant d'être plantés sur un terrain.